Huit titres pour interroger le rapport de la chanson aux mentalités coloniales et, à l’inverse, aux revendications culturelles et identitaires liées aux processus de décolonisation.
La chanson a toujours été un moyen d’affirmer une identité, de servir une cause culturelle, de proclamer un message politique ou de nourrir des fantasmes d’exotisme. En parallèle de l’exposition Jamaica Jamaica!, la Cité de la musique-Philharmonie de Paris affronte la question par le prisme des études culturelles, à l’occasion du colloque international « Coloniser/décoloniser par la musique » le vendredi 21 avril 2017. Cette playlist vous propose de découvrir, à travers le reggae, le rap ou encore l’afrobeat, comment la musique a pu et peut encore jouer un rôle déterminant dans les rapports de force géopolitiques et les représentations de l’autre.
FELA KUTI : « COLONIAL MENTALITY »
Lagos (Nigéria) est un des ports de l’Atlantique noir de Paul Gilroy (1993), bible des cultural studies. Fela Anikulapo Kuti s’y est battu, dès son retour d’Angleterre en 1963, pour l’avènement d’une musique décolonisée, qu’il nomme afrobeat. Sa lutte contre la mentalité coloniale passe par des textes virulents autant que par l'utilisation de rythmes inspirés des musiques traditionnelles yorubas.
LAS MARAVILLAS DE MALI : « RENDEZ-VOUS CHEZ FATIMATA »
L’Atlantique noir, c’est un espace de transferts musicaux. Suite à l'indépendance du Mali acquise en 1960, le président Modibo Keita veut affirmer l'identité du pays à travers le développement de la culture et les projets transatlantiques. Ainsi, en 1963, dix jeunes Maliens s’envolent pour La Havane, y étudient et finissent par créer un orchestre de musique afro-cubaine, « Las Maravillas de Mali ». En 1967, ils mettent en pratique leurs enseignements et enregistrent « Chez Fatimata », un cha cha cha qui remportera un succès jamais démenti dans les discothèques de plusieurs pays d’Afrique.
GRAND KALLÉ : « INDEPENDANCE CHA CHA »
Porté par de mêmes inspirations cubaines, Joseph Kabasele dit Grand Kallé écrit ce monument de la musique panafricaine le 20 janvier 1960. Ils le jouent la première fois à Bruxelles, où ils accompagnent la délégation congolaise à l’occasion de la table ronde qui fixa la date de l’indépendance du Congo au 30 juin 1960.
RAS MICHAEL AND THE SONS OF NEGUS : ETHIOPIAN ANTHEM
« L’hymne éthiopien universel illustre l’identification populaire des Noirs aux Éthiopiens sur la base d’un imaginaire simultanément biblique, politique et racialisé, constituant l’ethiopianisme », explique Giulia Bonacci, qui s’est passionnée pour l’histoire de cette création panafricaine de 1918, enregistrée ici par Ras Michael and the Sons of Negus (1978).
BOB MARLEY & THE WAILERS : « ZIMBABWE » (LIVE AU STADE RUFARO)
Dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 avril 1980, un concert gigantesque célèbre l’accession à l’indépendance du dernier pays d’Afrique encore sous domination européenne : le Zimbabwe, ancienne Rhodésie du Sud. Devant les représentants de cent États, dont le prince Charles, le président zambien Kenneth Kaunda et le Premier ministre indien Indira Gandhi, Bob Marley et les Wailers interprètent cet hymne reggae. À minuit, l’Union Jack sera descendu du mât du stade pour être remplacé par celui du nouvel État.
CHARLES TRENET : « BIGUINE A BANGO »
Les chansons coloniales qui fleurirent en France pendant la première moitié du XXe siècle, utilisent de nombreux motifs voulus « exotiques », qui entretiennent en réalité sans ambages les rapports de force entre colon et colonisé. Ici, Charles Trenet utilise le rythme de la biguine, née dans les Antilles françaises pour écrire une chanson décrivant la Martinique comme un paradis onirique et lointain, où l'on ne pense qu'à danser.
COURSIL / FANON 1952
« Je suis homme et c'est tout le passé du monde que j'ai à reprendre. La guerre du Péloponnèse est aussi mienne que la découverte de la boussole. Je ne suis pas seulement responsable de Saint-Domingue ». Frantz Fanon et Jacques Coursil se rencontrent, par l’intermédiaire de cet enregistrement. Surgissant d’un texte de 1952, la pensée de l’écrivain, médecin-psychiatre et combattant anticolonialiste, résonne avec force grâce au timbre puissant du chanteur et trompettiste Jacques Coursil, dans son album Clameurs (2007), un oratorio contemporain.
LA RUMEUR : « NOM, PRÉNOM, IDENTITÉ »
Fondée en 1997, La Rumeur, grand nom du rap français, fut assignée devant les tribunaux au début des années 2000 pour ses paroles offensives à l’encontre de la police française. Ils dénoncent dans des textes brûlants les tensions urbaines, les échecs des politiques d’insertion sociale et le racisme de la société française. « Énarque ou en Polytechnique qu’on formate à leurs techniques / Me disent complexe comme un conflit ethnique / Et dans ce contexte, j’ai des réflexes de colonisé en retard ».
Colloque "Coloniser / Décoloniser par la musique" : Vendredi 21 avril 2017, de 9h à 19h30, en Salle de conférence.