Le cinéma s’est très tôt réclamé de Wagner et de son rêve d’œuvre d’art totale. Si le compositeur a fourni à titre posthume un soutien théorique au septième art, il peut également être considéré comme le père de la musique de cinéma, tant son ombre plane sur de nombreuses bandes originales. Il offre également au septième art une inépuisable bande son. Cinématographique avant l’heure, sa musique a en effet habillé de nombreux films, jusqu’au plus improbable.
Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979)
La référence, quand on parle de Wagner au cinéma. Pour cette adaptation d’Au cœur des ténèbres de Conrad, Francis Ford Coppola signe un opéra filmé flamboyant et démesuré. La plongée dans « l’horreur » de la guerre est ici amplifiée par la cavalcade de la Chevauchée des Walkyries de Wagner. Son ambigüité morale, sa splendeur visuelle et son sens épique ont fait de ce passage une scène culte du cinéma, parodiée dans de nombreux films, de la citation (Watchmen de Zach Snyder) à la satire rigolarde (Les Blues Brothers de John Landis).
Huit et demi de Federico Fellini (1963)
Les Walkyries sont des déesses guerrières qui emmènent les âmes des héros défunts au Walhalla. Mais dans Huit et demi de Fellini, les figures nordiques prennent l’apparence d’infirmières distribuant de l’eau dans une station thermale. Un orchestre joue la Chevauchée des Walkyries, et s’enclenche un étrange ballet, où la mort rode, dans un carnaval grimaçant.
Le Nouveau Monde de Terrence Malick (2005)
Pour illustrer la vie des premiers indiens d’Amérique, Terrence Malick utilise le Prélude de L’Or du Rhin, une musique d’avant la catastrophe, une musique du paradis. Les sonorités aquatiques se mêlent aux images sous-marines pour animer un monde qui naît et disparaît sous nos yeux – au milieu du film, le Prélude réapparaîtra, pour dire cette fois le premier amour de l’héroïne. À mesure que les cordes grondent et s’étagent du grave à l’aigu, les navires des Conquistadors apparaissent, apportant un irréversible basculement de civilisation.
Meurtre mystérieux à Manhattan de Woody Allen (1993)
L’un des mots d’esprit les plus célèbres de Woody Allen. Pourtant, l’extrait est court : quelques notes du Vaisseau fantôme, la façade du Lincoln Center, puis le personnage incarné par Woody Allen : « Je ne peux pas écouter autant de Wagner : ça me donne envie d’envahir la Pologne ». Un peu plus tard dans le film, il poursuit sa diatribe : « Je ne peux pas m’enlever cet air du Vaisseau fantôme de ma tête. Demain, fais-moi penser à acheter tous les disques de Wagner et à louer une tronçonneuse ».
What’s Opera, Doc? de Tex Avery (1957)
Le Ring de Wagner a toujours fasciné les auteurs de dessin animé. L’une des plus belles parodies jamais réalisées des opéras de Wagner est celle de Tex Avery dans What’s Opera, Doc? (1957), où Elmer tombe fou amoureux de Brünnhilde/Bugs Bunny sur son beau poney blanc. La musique est un habile mélange d’ouvrages célèbres de Wagner, parmi lesquels on reconnaît l’ouverture de Tannhäuser.
Melancholia de Lars von Trier (2011)
Melancholia met en scène la neurasthénie de l’héroïne (Kirsten Dunst) sur fond de collision à venir entre une gigantesque planète, Melancholia, et la Terre. Le film s’ouvre sur dix minutes d’images au ralenti, accompagnées par le Prélude de Tristan und Isolde. Comme une prémonition, le spectateur entrevoit les différents moments du film, jusqu’au dénouement tragique. À l’instar du vidéaste Bill Viola, Lars von Trier capture ici la terrible attraction de mort de la musique de Wagner, sa pulsion suicidaire, dans une apocalypse grandiose.
Le Dictateur de Charlie Chaplin (1939)
Un bijou de poésie dans lequel le dictateur Adenoïd Hynkel (Charlie Chaplin) joue avec un globe terrestre, sur fond de Prélude de Lohengrin. Un choix d’autant plus réfléchi qu’en 1940, année de la sortie du film, la musique de Wagner était déjà associée au régime nazi.
Excalibur de John Boorman (1981)
Le grand public en a surtout retenu « O Fortuna » de Carmina Burana. Mais dans cette épopée des chevaliers de la Table ronde, c’est la musique de Wagner qui enflamme l’écran. Dès le générique, la marche funèbre de Siegfried du Crépuscule des Dieux retentit et réapparaît chaque fois qu’il est question de l’épée Excalibur. Le film de John Boorman se lit comme un condensé de l’œuvre de Wagner : le Ring tout d’abord, avec la fin des magiciens et l’avènement du monde des hommes, Tristan und Isolde ensuite avec l’amour adultère entre Guenièvre et Lancelot, puis Parsifal dans la troisième partie du film sur la quête du Graal.
Birth de Jonathan Glazer (2004)
Le cinéaste britannique Jonathan Glazer opère ici un saisissant changement de perspective. Dans la scène précédente, le personnage joué par Nicole Kidman rencontre un garçon, qui lui annonce être la réincarnation de son défunt mari. Pour illustrer le vertige qui s’empare de l’héroïne, Glazer la filme assistant à un opéra, en un gros plan de deux minutes. La musique du Prélude du premier acte de La Walkyrie dévale hors-champ, à la mesure du bouleversement intérieur du personnage.
L’Aile ou la Cuisse de Claude Zidi (1976)
Dans le célèbre film de Claude Zidi, Louis de Funès joue Charles Duchemin, le directeur d’un puissant guide gastronomique. Devant des assistants terrorisés, le comique français prévient que la musique de Wagner est faite « pour le gibier, le sanglier, le rhinocéros » !
Ludwig ou le Crépuscule des dieux de Luchino Visconti (1972)
La relation trouble entre Louis II de Bavière et Richard Wagner appelait naturellement le cinéma. C’est chose faite avec la fresque de Luchino Visconti : quatre heures de reconstitution historique décadente et minutieuse, dynamitées par la prestation hallucinée de Helmut Berger dans le rôle du monarque fou. Le Britannique Trevor Howard joue le rôle de Wagner.
Celles qui aimaient Richard Wagner de Jean-Louis Guillermou (2011)
Daté de 2011, le film de Jean-Louis Guillermou est très méconnu. Jean-François Balmer y joue le rôle du célèbre compositeur allemand. Elisabeth Duda interprète Cosima et en guest-stars, le ténor Roberto Alagna et Michèle Mercier se demandent ce qu’ils font là. Cerise sur le gâteau : la participation de Stéphane Bern dans le rôle de Louis II de Bavière. Engoncée dans son costume militaire, sa prestation n’est pas de celles qui appellent un César.