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Saison 5 - Épisode 1 - À la recherche de la voix volée

Publié le 20 mai 2025 — par Isabelle Genlis

Au cœur des hautes montagnes de Chine, le destin d’une famille royale bascule suite à la visite d’un oiseau extraordinaire.

Conte-moi la musique est une série de podcasts pour les 3-8 ans.

Avec Conte-moi la musique, retrouvez des histoires fabuleuses, drôles et poétiques, imaginées à partir des instruments du Musée de la musique.

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À la recherche de la voix volée 

Au cœur des hautes montagnes de Chine, un roi et une reine vivaient heureux dans leur royaume de bambous. Ils ne manquaient de rien, ou presque… 

Ils n’avaient pas d’enfant. Ils en étaient très malheureux. Chaque nuit, ils appelaient tous les dieux et les génies qu’ils connaissaient, ils leur demandaient : 

— Donnez-nous un enfant, nous l’attendons depuis si longtemps !  

Un soir, un oiseau splendide, se posa entre les bambous des jardins royaux. Il avait une tête de cygne, une crête de coq, un bec d’hirondelle, une queue de poisson et des ailes gigantesques. La reine le reconnut aussitôt :  

— Ô toi, Phénix aux cinq couleurs, toi le porte-bonheur, c’est un honneur de t’accueillir. Ces fruits de bambous sont pour toi !  

Le Phénix en picora tant et tant. Pour remercier la reine de lui offrir ses gourmandises préférées, il déposa un morceau de soie dans ses mains, puis s’envola.  

La reine ouvrit le tissu. Un rébus y était écrit : « Ses yeux seront deux étoiles, ses joues, aussi roses que la pivoine, sa voix aura l’harmonie du chant des bambous dans le vent et ses mains possèderont mes ailes. »   

Elle s’écria : 

— Il nous annonce la venue d’un enfant !  

Elle avait bien deviné ! Son ventre s’arrondit et elle donna bientôt naissance à une petite fille. Le Phénix n’avait pas menti : elle était ravissante et plus encore. On l’appela Feng, qui signifie Phénix, pour remercier le grand oiseau céleste et on annonça la merveilleuse nouvelle :  

— La princesse Feng est née !  

Pour fêter sa naissance, le couple royal invita les habitants du royaume des bambous à un joyeux banquet. Jeunes et vieux, riches et pauvres chantèrent et dansèrent des jours et des nuits dans les jardins du palais. 

Au plus fort de la fête, une femme vêtue d’une robe blanche apparut. La musique s’arrêta, les danseurs se figèrent. On n’entendait plus que ces mots : 

— La serpente blanche ! La venimeuse, la terrifiante !  

Sans saluer personne, elle marcha jusqu’au berceau. Elle regarda longuement le bébé, puis elle ouvrit la bouche… Une langue de serpent en jaillit :  

— Ah ççççça ! Perssssonne ne me préssssente à cette ssssplendide princcccessssse ! Je ssssuis sssi vexssssée !   

La reine et le roi étaient désemparés. Ils redoutaient cette terrible créature, capable des pires méchancetés depuis le début des temps.  

— Alors, on a perdu ssssa voix ? Perssssonne ne ssss’excuse ? Puissssqu’il en est ainssssi, votre fille sssera ausssssi sssssans voix !  

Elle dit, et se transforma en un long corps recouvert d’écailles blanches qui disparut en sifflant. 

La fête était terminée. On attendait qu’une seule chose : que la princesse Feng babille, pleure, crie ! Elle ouvrit enfin la bouche… seul un souffle en sortit. 

La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre : 

— La serpente blanche a volé la voix de la princesse ! La serpente blanche a volé la voix de la princesse ! 

Le silence de la nuit fut recouvert de pleurs. 

La reine ne parvenait pas à s’endormir. Le tissu de soie dans les mains, elle relisait le rébus du Phénix : « Ses yeux seront deux étoiles, ses joues, aussi roses que la pivoine, sa voix aura l’harmonie du chant des bambous dans le vent et ses mains possèderont mes ailes. »   

Les yeux de la princesse brillaient plus que toutes les étoiles réunies… Oui, et ses joues étaient d’un rose éclatant, mais… mais sa voix ? Quand elle en avait, elle était pareil à celles de tous les bébés. Rien à voir avec les bambous ! Et ses mains… elles ne possédaient que cinq doigts comme toutes les mains !  

Le temps passa, triste et lourd du souffle de la princesse à la voix volée. La reine jadis si souriante, s’était renfermée. Tout l’agaçait. Un jour que le vent soufflait plus fort que d’habitude, s’engouffrait entre les cannes de bambou et les faisait chanter à tue-tête, elle s’écria : 

— Je ne peux plus les entendre ! 

Elle ordonna que l’on coupe tous les grands et beaux massifs. Le soir, il n’en restait plus que des pauvres tas. Mais ce fut pire encore ! Le vent soufflait dans les tiges creuses et les faisait chanter toutes ensemble. Un concert incroyable, d’une terrible beauté, insupportable pour la reine désespérée. Elle s’empara d’une torche enflammée pour les brûler.  

C’est alors que le Phénix se posa près d’elle. Il éteignit le flambeau et la colère de la reine. Avec son bec, il assembla plusieurs tiges de différentes tailles et leur donna la forme de ses ailes. L’une d’elles embrassait toutes les autres et se dressait comme un sifflet. Puis l’oiseau entra dans le palais. Il se posa sur le berceau, plaça l’instrument entre les lèvres de la princesse, et s’envola. 

La princesse souffla dedans. Des harmonies aussi joyeuses que ses yeux en sortirent. Comme il était l’heure de dormir, sa mère voulut lui ôter, mais la petite s’y agrippa et souffla encore ! Cette fois, des accords aussi fâchés que son regard, s’élevèrent. Pour l’apaiser, la reine lui laissa son instrument et la musique d’un sommeil paisible résonna.  

La reine sourit comme elle ne l’avait pas fait depuis longtemps. Elle avait enfin compris le rébus du Phénix : « Ses yeux seront deux étoiles, ses joues, aussi roses que la pivoine, sa voix aura l’harmonie du chant des bambous dans le vent et ses mains possèderont mes ailes. »   

L’instrument offert par le Phénix était la voix de sa fille ! On l’appela sheng, orgue de bambous, celui qui offre l'harmonie entre le ciel, la terre et les hommes. 

Isabelle Genlis
  • Conte écrit et raconté par Isabelle Genlis
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  • Extraits musicaux :
  • Chun jiang hua yue ye (« Clair de lune sur la rivière printanière ») ; Huangping lusheng wuqu (« Un air de danse à l’orgue roseau huangping ») ; Nuoderzhong zhi ge (« La chanson de Nuoderzhong ») - La Voix du dragon. Chine, musique classique sur instruments traditionnels. Le continent des solidaires – Qiu Ji, cithare zheng ; Chen Yihan, luth pipa ; Xu Chaoming, orgue à bouche sheng et lusheng Concert enregistré à la Cité de la musique (2000) 
  • Dragon Dance - Made in China : Mégalopole : Shanghai - Wu Wei, sheng et composition Concert enregistré à la Cité de la musique (2014)