Dans un petit village caché au cœur du Sénégal, si discret qu’il n’apparaissait sur aucune carte, vivait une petite fille nommée Ndaté. Ce village, entouré de baobabs majestueux, semblait perdu dans le temps. Sous l’un de ces grands arbres, Ndaté passait ses journées à courir, à grimper aux branches et à écouter son grand-père jouer de la kora.
Un après-midi, alors qu’elle s’accrochait à une branche haute, elle l’interpella :
Grand-père, pourquoi les filles ne jouent-elles jamais de la kora ?
Le vieil homme, vêtu de son boubou bleu, leva les yeux vers elle. Il tenait une noix de cola qu’il croqua lentement. Tout en mâchant, il répondit :
Ce n’est pas que les filles ne peuvent pas jouer de la kora. C’est que depuis la nuit des temps, on pense qu’elles ne devraient pas. La kora a toujours été confiée aux griots pour porter l’histoire des rois et des hommes, pour tisser les mémoires des ancêtres. Mais le vent, vois-tu, ne choisit pas à qui il souffle. Et la musique, elle, elle n’a pas de frontières. Peut-être que toi, avec tes mains curieuses et ton cœur audacieux, tu seras celle qui fera entendre une nouvelle mélodie. Celle qui prouvera que la kora ne pèse pas sur les épaules des hommes, mais danse au rythme de ceux et celles qui osent en rêver.
La petite fronça les sourcils, ses grands yeux noirs brillant de curiosité.
Moi ? Mais comment ?
Le grand-père se contenta de sourire et reprit son instrument.
Chaque soir, sous le grand baobab, Ndaté s’asseyait auprès de son grand-père pour l’écouter jouer. Les mélodies de la kora semblaient magiques : elles faisaient rêver, elles calmaient les cœurs, et parfois, elles donnaient l’impression que tout devenait possible.
Un jour, alors qu’il était parti au marché, Ndaté entra discrètement dans la case où il rangeait sa précieuse kora. Son cœur battait fort. Elle s’assit, plaça l’instrument sur ses genoux et pinça doucement une corde. Un son pur et vibrant s’éleva dans l’air.
À cet instant, son grand-père entra. Elle baissa les yeux, gênée.
Je… je voulais juste essayer.
Il resta silencieux un moment, puis il sourit.
Continue. Joue, ma petite, et laisse le vent porter ton chant.
Hésitante, elle joua une autre note, puis encore une autre. Il s’assit à côté d’elle et guida ses mains.
La kora t’a reconnue, murmura-t-il. Mais jouer, ce n’est pas seulement pincer des cordes. C’est raconter des histoires avec ton cœur.
Chaque soir, ils pratiquaient en secret. Ndaté apprenait vite. Elle reproduisait les mélodies anciennes et en créait de nouvelles.
Un jour, une grande fête eut lieu au village. Les griots jouaient pour raconter les histoires des ancêtres. Cachée derrière un arbre, Ndaté observait. Mais cette fois, elle ne voulait plus simplement écouter.
Quand les musiciens firent une pause, elle avança avec sa kora dans les bras. Les villageois la fixèrent, surpris.
Les filles ne jouent pas de la kora ! lança un vieil homme.
Mais Ndaté, déterminée, s’assit et pinça une corde. Une mélodie douce et claire emplit l’air. Elle continua, jouant une musique qu’elle avait composée en secret. Petit à petit, le silence se transforma en murmures, puis en sourires. Les enfants commencèrent à danser, et même les anciens tapaient des mains.
Quand elle finit, le village resta figé un instant, avant d’applaudir avec enthousiasme.
Elle joue comme si les ancêtres chantaient à travers elle ! dit une femme.
Son grand-père, ému aux larmes, se leva et déclara :
Ndaté a brisé une ancienne croyance. Désormais, les filles aussi joueront de la kora.
La musique de Ndaté ne resta pas dans son petit village. Ses mélodies traversèrent les collines, les rivières et les frontières. Partout, les gens voulaient entendre cette griotte au talent unique, venue d’un village oublié du Sénégal.
Elle devint une légende vivante, une artiste connue dans le monde entier. Grâce à elle, les femmes furent reconnues comme des gardiennes des récits et des mélodies.
Et sous le grand baobab, là où tout avait commencé, on raconte que le vent porte encore les notes de Ndaté, l’héritière de la kora, celle qui osa briser les règles pour faire entendre sa voix.