Yé kri !
Yé kra !
Krik !
Krak !
Vers la grande falaise de la Pointe des Châteaux, située au nord de l’île de la Guadeloupe, le son du tambour ka résonnait chaque jour. Il racontait les joies et les peines des habitants de ce petit coin de bord de mer nommé Lakou Man Coco, où les enfants, dès leur premier jeune âge, apprenaient l’art du tambour ka auprès d’un maître respecté.
Ce matin-là, le 19 juillet, quelque chose semblait différent. Le soleil brillait plus fort, les oiseaux sucriers chantaient avec plus d’entrain, et même les alizés soufflant depuis la mer semblaient porter un secret. C’était un jour spécial : c’était l’anniversaire de Tako.
Tako, un garçon vif et plein d’énergie, ouvrit les yeux avec un sourire éclatant. Aujourd’hui, il avait sept ans. Et il sentait que cette journée allait être extraordinaire.
Le Maître Ka, un vieil homme à la voix profonde et au regard sage, entra dans la case, tenant dans ses mains un tambour ka flambant neuf.
"Bon anniversaire, Tako. Aujourd’hui, tu as sept ans, comme les sept rythmes sacrés du ka. J’ai choisi le meilleur bois de mahogany et la peau la plus fine pour fabriquer ton tambour. Tiens, il est à toi."
Tako, émerveillé, posa ses mains sur le tambour et sentit sa magie.
"Voyons si tu es prêt. Joue-moi un woulé, un padjanbèl, un kaladja, un toumblak, un léwoz, un mindé, et un graj ! Bien… tu es prêt pour ton premier rituel. "
"Un rituel ? Quel rituel ?"
"Tu devras partir en quête d’un trésor caché au sommet des falaises de la Pointe des Châteaux. Mais ce trésor n’est pas comme les autres. Tu devras écouter les sons, jouer avec ton tambour, et surtout laisser ton cœur te guider."
Intrigué et excité, Tako saisit son tambour et s’aventura sur le sentier.
La mer grondait en contrebas, ses vagues éclatant sur les coraux. Le vent jouait dans les feuilles des gommiers rouges, et les bois semblaient pleins de secrets. Pour se donner du courage, Tako joua un kaladja apaisant. Les sons de son tambour se mêlèrent au murmure des arbres.
Soudain, il entendit un bruissement. Un iguane, aux écailles scintillantes sous le soleil, se tenait immobile sur une branche de manguier.
"Je suis Anoli, le gardien de ces lieux. Que fais-tu dans ma cour ?"
"Je cherche un trésor…"
"Un trésor ? Tu es bien trop jeune et trop fragile pour réussir. Tu vas te perdre ou échouer, comme les autres avant toi."
Tako sentit un frisson de doute, mais il se rappela les mots du Maître. Il tapa un léwoz courageux, un rythme puissant et déterminé, faisant vibrer l’air autour de lui.
Anoli, déconcerté par l’énergie du tambour, inclina légèrement la tête avant de s’éloigner lentement dans les fourrés.
"Je n’ai pas peur. Je dois continuer."
En avançant, Tako aperçut un raton laveur espiègle sautant d’une branche à l’autre, ses petits yeux pétillants de malice.
"Eh, toi avec le tambour ! Fais-moi entendre ce que tu sais jouer !"
Amusé, Tako joua un padjanbèl joyeux. Le raton laveur se mit à danser frénétiquement, tapant des mains et tournoyant autour de Tako.
Mais lorsque Tako s’arrêta, le raton laveur protesta :
"Eh, pourquoi t’arrêtes-tu ? Viens jouer avec moi !"
Petit raton laveur, ton jeu est amusant, mais un trésor m’attend.
Le raton laveur s’inclina, impressionné par la détermination de Tako.
"Tu es bien décidé ! Bonne chance, petit tambourineur."
Plus loin, Tako aperçut une aigrette élancée au bord de la plage. Elle semblait perdue, le regard rivé sur l’horizon.
"Bonjour, belle aigrette. Pourquoi es-tu triste ?"
"Je cherche ma maison, mais tout autour de moi est étranger."
"Dis-moi ce que tu vois. Peut-être pourrons-nous trouver ensemble."
L’aigrette regarda vers le nord.
"Là-bas, je vois des plages avec des tortues géantes. Elles pondent dans le sable. Mais ce n’est pas ma maison."
"Alors, oublions cette direction. Et, vers l’ouest ?"
"À l’ouest, je vois des collines verdoyantes ornées de majestueux arbres à pain chargés de fruits à pain. Mais ce n’est pas ma maison."
Tako joua un graj courageux.
Parfois, la peur n’est qu’un nuage. Regarde encore avec confiance.
L’aigrette hésita, puis déploya ses ailes vers le sud.
"Oui, je vois là-bas ! Je vois des arbres qui s’élancent vers le ciel, une mangrove qui regorge de vie, et le soleil qui caresse les eaux paisibles. C’est ma maison ! C’est ma maison !"
"Alors, suis ton cœur et retourne chez toi, belle aigrette."
L’aigrette, reconnaissante, se mit à virevolter gracieusement.
Alors qu’il continuait son chemin, Tako sentit un léger choc sur son tambour. Il baissa les yeux et vit un petit colibri étendu sur la peau tendue. Ses plumes étincelaient comme des joyaux, mais l’une de ses ailes semblait abîmée.
"Petit colibri, es-tu blessé ?"
Le colibri gazouilla faiblement, visiblement effrayé.
Pour le calmer, Tako joua un woulé réconfortant, une mélodie douce et apaisante. Les vibrations du tambour semblèrent rassurer l’oiseau, qui se redressa lentement.
"Merci, jeune tambourineur. Tu as su m’approcher avec respect et douceur. Que ton voyage soit couronné de succès."
Avec délicatesse, Tako plaça le colibri sur une branche de suretier à l’abri du vent, avant de reprendre sa route.
Lorsque Tako rentra à Lakou Man Coco, le soleil se couchait, teintant le ciel de rouge et d’or.
"Maître, j’ai rencontré un iguane, un raton laveur, une aigrette et un colibri. Mais je n’ai pas trouvé le trésor."
"Ha ha ha. Mais si, Tako, tu l’as trouvé. Tu as appris le courage, la détermination, la patience, la bienveillance et le respect. Ces trésors sont en toi."
Pour célébrer cette leçon de vie, Tako joua un toumblak harmonieux. Les habitants se rassemblèrent autour de lui, dansant et chantant sous le ciel étoilé.
Yé kri !
Yé kra !
Krik !
Krak !
Yé mistrikri
Yé mistikra !
Extraits musicaux :
Tako, Laurent Succab
woulé, padjambèl, miendé, Toumblak, Kaladja, Léwoz, Graj, rythmes traditionnels