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Beau, oui, comme Bowie

Publié le 23 février 2015 — par Jérôme Provençal

— Costume de scène dessiné par Kansai Yamamoto pour le Aladdin Sane Tour (1973). - © M. Sukita

Fidèle à la longue tradition anglaise en matière d’élégance, David Bowie a toujours accordé une extrême importance à son apparence en général, et à sa tenue vestimentaire en particulier.

Aussi fulgurant soit-il, le son ne suffit pas pour devenir une pop-star : n’atteignent le firmament que ceux qui se dotent d’une image étincelante, parvenant ainsi à éblouir les yeux autant que les oreilles (et parfois les yeux beaucoup plus que les oreilles, mais c’est un autre débat…). David Bowie en offre une illustration parfaite.  Ayant révélé dès son plus jeune âge un goût prononcé pour le travestissement et le maquillage (goût jugé « contre nature » par ses parents), David Robert Jones va, une fois devenu adulte et rebaptisé David Bowie pour la scène, donner totalement libre cours à ce goût du transformisme, au point d’apparaître comme un véritable caméléon (cousin pop du Zelig de Woody Allen), à l’affût de toutes les nouvelles tendances, terriblement soucieux qu’il est de ne jamais se ressembler. Dans un entretien-fleuve accordé aux Inrockuptibles en 1993, il avouait avec beaucoup de franchise et de lucidité : « Dans les années 1960, je changeais de dégaine presque tous les jours. Je piquais à droite, à gauche, mais sans rien inventer moi-même. Une des raisons de mon succès vient de cette capacité à réunir des éléments disparates, à donner corps à ces larcins. » Se profile ici la silhouette insolite d’un dandy de grand chemin qui chine fébrilement et chipe habilement, pratique le braconnage autant que le collage (le bracollage ?). Changeant d’identité comme de chemise, Bowie va affirmer — et affiner — son style au gré d’une imagination infiniment versatile.

à l’affût de toutes les nouvelles tendances

Durant les années 1960, son élégance apparaît encore trop timide et respectueuse des canons dominants (notamment ceux établis par les mods, jeunes gens à l’allure fièrement impeccable) pour lui permettre de se distinguer. C’est à partir des années 1970 — décennie qui reste à tous égards la plus féconde de sa carrière — qu’il va s’épanouir pleinement, avec l’aide d’Angie, sa première femme (mannequin et actrice), qui l’incite en particulier à cultiver son androgynie. Ainsi Bowie arbore-t-il une longue chevelure bouclée et une non moins longue robe à motifs fleuris sur la fameuse pochette de l’album The Man Who Sold The World. Gentiment provocatrice, cette coquetterie paraît bien pâlotte à l’aune du coup d’éclat (pour ne pas dire du coup de génie) que Bowie accomplit peu après en donnant naissance à Ziggy Stardust, premier d’une mémorable série de Doppelgänger, aussi variés que sophistiqués. Sous le choc d’Orange mécanique et des créations du styliste japonais Kansai Yamamoto (qu’il a découvert, éberlué, lors d’un défilé à Londres en 1971), il va s’inspirer des deux pour concevoir l’apparence très flashy de Ziggy. Comparable à un manifeste, ce geste marque le début d’une intense interférence avec le monde de la mode — dont l’onde de choc se répercute encore aujourd’hui.

— David Bowie – Life On Mars?

À l’époque, Bowie travaille avec Freddie Burretti — qui signe notamment les tenues de la tournée Ziggy Stardust ainsi que le costume bleu turquoise clair du clip « Life on Mars ? », parfait condensé de l’esthétique glam. En 1973, pour la tournée Aladdin Sane (album dont la splendide pochette, ornée d’une photo de Bowie le visage zébré par un éclair bicolore, figure au panthéon de l’imagerie pop), il monte sur scène vêtu des incroyables costumes offerts par Yamamoto, chez qui il a séjourné un peu avant. Le 3 juillet 1973, lorsqu’il tue le personnage de Ziggy, sur la scène de l’Hammersmith Odeon de Londres et sur l’air de « Rock’n’roll Suicide », il arbore un t-shirt moulant en résille noir, qui préfigure le style vestimentaire du mouvement punk. Influençant la mode autant qu’il est influencé par elle, David Bowie va ensuite non seulement collaborer avec de nombreux autres créateurs renommés, parmi lesquels Alexander McQueen (qui conçoit la redingote taillée dans l’Union Jack de l’album et la tournée Earthling), Hedi Slimane (qui dessine ses costumes de scène en 2002) ou Thierry Mugler (qui confectionne en 1992 le smoking de son mariage avec Iman, top-model d’origine somalienne), mais également déposer son empreinte sur maintes collections (par exemple, la collection automne 2011 de Dries van Noten, directement inspirée par l’esthétique de Station to Station et du Thin White Duke, ou la collection printemps 2013 de Jean-Paul Gaultier, placée sous l’influence de diverses pop-stars, dont le Bowie période Ziggy) ou couvertures de magazines.

Année de la résurrection musicale avec la parution de l’album The Next Day, 2013 est aussi marquée par une double consécration sur le plan de la mode : prêtant pour la première fois son nom à une marque de prestige (en l’occurrence Louis Vuitton, pour le deuxième spot de la campagne publicitaire L’Invitation au voyage, tourné à Venise par Romain Gavras), Bowie est en outre désigné, par un aréopage d’historiens et d’experts de la mode, l’homme le mieux habillé du Royaume-Uni, surclassant notamment Sa Majesté la Reine Elizabeth ou Beau Brummel himself, figure iconique du dandysme. So chic…

Costume de scène dessiné par Kansai Yamamoto pour le Aladdin Sane Tour (1973)
— Costume de scène dessiné par Kansai Yamamoto pour le Aladdin Sane Tour (1973) - © M. Sukita
Jérôme Provençal

Jérôme Provençal écrit sur (presque) tout ce qui est essentiel à la vie : la musique, la danse, le cinéma, le théâtre, les arts plastiques, la littérature. Il est le collaborateur régulier des Inrockuptibles, de Politis, de New Noise et d’Art Press.