Unique contribution de Bowie à la langue de Molière, la version française de “Heroes” résonne comme un hymne européen.
David Bowie a parfois fait des infidélités à la langue de Shakespeare : l’icône britannique a fricoté avec l’allemand, l’italien (une version de « Space Oddity » rebaptisée « Ragazzo Solo, Ragazza Sola ») et même le chinois (« 7 Years in Tibet » existe en mandarin). Et le français dans tout ça ? Le caméléon épris de Jacques Brel ne l’aurait-il pas accroché à son tableau de chasse polyglotte ? Et si, une fois. Pour certains, c’est même la fois de trop, tant l’accent du Thin White Duke laisse à désirer sur « Héros », traduction de « Heroes », le morceau culte de l’album du même nom sorti en 1977. Pour d’autres, le Britannique mange ses mots français avec tout le charme de l’étranger : ce petit je-ne-sais-quoi maladroit, et donc touchant.
Au-delà des évidentes raisons commerciales pour toucher un public qui aime chantonner dans sa langue maternelle, il faut voir dans cette version hexagonale un symbole : pour le Britannique, « Heroes » est un hymne européen. Elliott Murphy dira même qu’il a aidé à la chute du Mur de Berlin ! Et il est vrai que les paroles de ce tube seventies évoquent un couple qui « défie » la triste barrière qui divisa la ville entre 1961 et 1989. Tony Visconti, le producteur du disque, prétend que « Heroes » parle de lui : alors en studio à Berlin avec le Thin White Duke, il s’échappait de temps à autre pour bécoter sa cocotte allemande, Antonia Maass (choriste sur le morceau). Marqué par le tableau d’Otto Mueller, Liebespaar zwischen Gartenmauern (Amoureux entre deux murs de jardin), Bowie préfère évoquer quant à lui un couple qu’il vit s’embrasser devant le mur de la honte…
Si l’ex-Ziggy Stardust a toujours été fasciné par les costumes et les super-héros, il décrit dans cette chanson des héros ordinaires. D’où l’importance des guillemets du titre original. Détail typographique que le label RCA oubliera lors de la sortie du single bleu-blanc-rouge « David Bowie chante en français Heroes ». Au-delà du côté délicieusement anecdotique de cette VF, une question reste ouverte : la poésie surréaliste de Bowie gagne-t-elle à être traduite dans la langue de Molière ? « Je souhaiterais que tu nages comme les dauphins / Les dauphins savent nager », chante le caméléon de la pop au début du morceau. Une chose est sûre : après cette tentative de 1977, le Britannique ne s’essaiera plus jamais au français. On tient peut-être là une réponse.