Umberto Eco à propos de Luciano Berio.
Dire la musique – Paroles d’artistes.
Propos enregistrés en novembre 2013.
Je ne crois pas qu’il ait jamais prononcé le mot « avant-garde ». Il parlait plutôt de « nouvelle musique » : Neue Musik. Voilà, il pensait en ces termes-là. Et ils avaient clairement l’idée qu’ils faisaient des expériences sur la musique. Pas des provocations extérieures, parce que tout se passait dans les salles de concert. Ce n’était pas l’avant-garde au sens classique.
Il y avait un autre élément dont on avait beaucoup discuté, parce que les adversaires de tous bords disaient que c’étaient de jeunes écrivains qui allaient à la conquête des places de pouvoir culturel. C’était faux parce que chacun de nous – d’ailleurs, on avait trente ans et plus – était déjà très bien inséré, soit à l’université, soit dans les maisons d’édition et certains faisaient des concerts à la Scala. Il ne s’agissait donc pas d’une lutte pour le pouvoir culturel.
On avait déjà le pouvoir culturel. On n’en était pas contents, donc c’était une forme de réflexion à l’intérieur de structures officielles : les maisons d’édition, l’université, les concerts, etc. Berio a été un compagnon de route, un travel follower, comme on dit. On se connaissait, on se voyait, on se parlait l’un l’autre. L’atmosphère et les façons de penser étaient communes.
Le choc que j’ai reçu en arrivant à la radio, en voyant ce studio construit avec des murs pleins de protubérances… Alors, j’ai compris ce qu’est l’acoustique ! Je l’ai compris plus tard, parce que je jouais – et je joue encore – de la flûte à bec et j’avais découvert que ça fonctionnait bien seulement dans ma salle de bain.
Berio était très sensible à cet aspect-là. L’idée de la phonologie et donc même d’une réflexion scientifique sur la possibilité de faire de la musique dans un espace plutôt qu’un autre. Je crois qu’il était très sensible à tout ça lorsqu’il composait les Sequenze. Chacune d’elles est une étude sur les possibilités d’un instrument.
La première Sequenza que j’ai suivie était la Sequenza pour flûte solo. Et il y avait là Severino Gazzelloni. Je me souviens d’un soir : j’ai arrêté l’ascenseur dans lequel j’étais avec Gazzelloni et je lui ai joué de ma flûte à bec… J’ai joué de ma flûte en face de Gazzelloni !
Les Éditions de la Philharmonie
Écrits sur la musique
Intégrale des Écrits de Luciano Berio sur la musique