En 1951, John Cage avait visité une chambre sourde, anéchoïque. Il voulait y faire l'expérience du silence parfait. Dans cet environnement sonore aseptisé, il avait cru entendre deux sons lancinants, l’un aigu, l'autre grave. À l'en croire, c'était le bruit de son corps - ses nerfs, son sang - qui avait envahi tout l'espace. Gould se dit que son 4'33'' à lui, s’il devait être systématiquement mis en œuvre, procéderait d'une intention exactement inverse. Ce que raconte Glenn Gould aujourd’hui, au-delà de son héritage musical, c’est l'histoire d'un grand confiné. On l'a beaucoup décrit comme ça. Quelqu'un qui s'était retiré de la scène, de la vie sociale, pour se consacrer entièrement à la musique. Et son espace de confinement, ce n'est pas celui de John Cage, ce n'est pas le silence de la chambre anéchoïque, où Cage avait fait l'expérience d'un silence remuant et bruissant de toute la rumeur du monde. C’est quelque chose d'un peu différent, c’est le silence du studio, du studio d’enregistrement, des opérations de post-production qui font que la musique peut décoller, prendre son ampleur. Le livre parle de ça et nous raconte aussi, par ce biais, une sorte d'expérimentation continue sur le confinement créatif. Et donc, on raconte au passage, en s'inspirant librement de la vie de Glenn Gould, quelques exercices spirituels qu'il aimait pratiquer dans son studio, mais aussi en voiture, le temps des longs voyages. L'idée du livre, c’est de cristalliser autour d'un échange d’images, autour de ce qui aurait pu être, et ce qui a été, certainement... On recompose, en imagination, un long voyage de Glenn Gould, qui serait son dernier voyage, en quelque sorte. C'est un livre qu'il faut lire et regarder, puisque c'est aussi un livre d'images. Mais c'est surtout un livre à écouter : la playlist qui accompagne, et qui même ponctue ce voyage, correspond peut-être à ce que Gould aurait lui-même écouté, dans sa Lincoln Continental, en parcourant les grandes routes du Canada. Une playlist qui va du plus classique, les tubes attendus de Glenn Gould, des enregistrements de Bach, mais aussi des choses plus secrètes, comme une pièce de Sweelinck, ou plus inattendues, comme Petula Clark.
« Ce n’est pas avec les mains qu’on joue du piano, mais avec le cerveau » : à l’occasion d’un périple en voiture, par exemple. Son de l’autoradio, mécanique du corps, performance idéale, rédemption technologique et « Idée du Nord ». Voici le voyage mental et spatial de Glenn Gould, tel un apologue en forme de road movie depuis les confins du pays. Le musicien fugue et passe dans le décor…
Faudrait-il écouter Bach au téléphone ? Quel rapport y a-t-il entre un piano Steinway et une voiture ? Comment la vitesse de la musique peut-elle engouffrer le musicien, faire habitacle, jusqu’à l’aspirer ? Et est-ce que le bruit de l’aspirateur peut alors aider à se concentrer pour mieux écouter Mozart ?
Élie During et Alain Bublex, Glenn Gould, Paris, Éditions de la Philharmonie, coll. « Supersoniques », 2021.