La deuxième phase du projet EVE/Exister avec la Voix Ensemble, amorcée à l’automne 2022, a deux visages, amenés à se superposer: celui, adolescent, des collégiens bénéficiaires du dispositif dans le cadre du partenariat de la Philharmonie de Paris avec l’Éducation nationale; et celui, adulte, de celles et ceux qui font profession musicale et essaiment la pédagogie innovante et interdisciplinaire du chant choral pratiquée dans le cadre du projet. 

Un chœur engagé et créatif

Ce samedi de retrouvailles, les choristes bourdonnent d’impatience et de bonne humeur: après une pause estivale de plusieurs mois, il leur tarde de reprendre le travail ensemble, de renouer avec les week-ends de formation immersive proposés à la Philharmonie, de réactiver cette pédagogie appréhendée l’an passé dont ils sont aussi les messagers. Cette saison 2023-2024 leur promet, entre autres, répétitions interdisciplinaires, séances ciblées sur des répertoires spécifiques, conférences, temps d’échange et de discussion, renforcement de la technique Alexander® et de la rythmique Dalcroze.

«C’est un plaisir de les retrouver, car ils sont très bons élèves, se félicite Lucie, cheffe de chœur intervenante dans le projet EVE. Ils sont très engagés, ils ont envie, ils osent. Ils ont un vrai élan de créativité et une autodiscipline exemplaire.» Les quelque soixante participants, hommes et femmes venus de la France entière, forment un groupe aux qualités d’écoute et à la réactivité hors normes. Professeurs de musique en collège, chefs de chœur, étudiants en direction de chœur, musicothérapeutes ou musiciens, ils chantent pour leur épanouissement et leur enrichissement personnels, mais doublent leur plaisir en ayant aussi à l’esprit la transmission de la pédagogie EVE à leurs propres choristes amateurs, classes d’adolescents… ou confrères et consœurs du Grand Chœur Rythmique EVE.

Apprendre et redistribuer

Car c’est l’une des particularités de ces sessions en immersion: les formateurs, lorsqu’ils ne sont pas meneurs, sont eux-mêmes choristes parmi les choristes et s’initient aux savoirs de leurs collègues. Pour apprendre d’apprendre. Dominique et Abdès, spécialistes des musiques indonésiennes engagés dans le projet EVE, y voient le renforcement de leur proximité avec l’ensemble de l’équipe et le raffermissement de la cohésion du groupe. «Nous avons besoin de faire l’expérience de ce que vit le chœur sans être toujours dans l’action, signale Sylvie, également intervenante EVE. Cela nous permet de porter un autre regard sur les répétitions que nous animons ensuite. Il en est de même pour les professeurs de musique avec leurs classes.»

D’aucunes voient en effet dans leur pratique du chant choral et les échanges qu’elle engendre l’opportunité de sortir de leur isolement de professeures de musique et du cadre de l’Éducation nationale. «Nous sommes souvent seules dans notre discipline, partage Ariane. Ce travail d’équipe est très intéressant et très motivant.» Aline complète: «Partager avec des collègues et avec des professionnels d’autre disciplines hors de nos classes nous inspire et rayonne ensuite dans les collèges.» En répétition, Sarah aime «glaner des idées, piocher auprès de ceux qui ont plus d’expérience qu[’elle] pour redistribuer dans [s]es cours». Ariane trouve «des idées moins scolaires, des pistes de travail qui renouvellent [s]on enseignement». Toutes ont à l’esprit d’engranger pour mieux redonner, mieux réinvestir auprès de leurs élèves.

Partager dans l’interdisciplinarité

Le Chœur d’adultes professionnels EVE développe ainsi une communauté chantante particulièrement soudée, dynamisée de l’intérieur et consciente de la responsabilité de chacune et chacun, traversée –transformée– par l’interdisciplinarité. Cette approche est l’un des fondamentaux du projet initié par la Philharmonie de Paris en 2018 avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller et en collaboration avec l’Éducation nationale: le chœur bénéficie, dans l’horizontalité et le partage, des compétences de chefs de chœur mais aussi de praticiens de techniques psychocorporelles et de spécialistes de diverses traditions musicales extra-européennes. Au cours d’une même séance, les différents intervenants se passent le témoin et rebondissent sur l’enseignement de leurs pairs pour amener les chanteurs, sans rupture, d’un atelier à l’autre, dans un «jeu de ping-pong» particulièrement fructueux.

Christiane, choriste et musicothérapeute, avait «déjà un regard ouvert sur l’interdisciplinarité, pour mieux comprendre et mieux apprendre la musique. Mais tout pratiquer en même temps est une vraie nouveauté». Avant de s’engager dans le Chœur d’adultes professionnels EVE, Dominique avait une expérience chorale classique assez développée, mais il a été séduit par cette «manière différente de travailler le chant, d’apprendre avec d’autres mots, d’autres techniques, d’autres postures»: chanter et apprendre sans le support de la partition écrite, mobiliser la mémoire auditive mais aussi émotionnelle et corporelle, encourager la liberté et la spontanéité du corps et de l’expression, naviguer mélangés, sans hiérarchisation, en privilégiant la circularité plutôt que le face-à-face ou le coude à coude. «L’intelligence avec laquelle tout cela s’imbrique est incroyable», souligne Ariane.

Faire chanter tout le corps

Les séances sont intenses et les champs de répertoires vastes –de Rameau à Meredith Monk en passant par Jonathan Dove, Ernst Toch et des chants de tradition orale–, mais ne malmènent jamais ni la voix ni le corps. «Pour moi qui ne suis pas chanteur de formation, précise Abdès, la dimension corporelle m’apporte un éclairage pluriel, que je peux rediriger sur la voix comme sur les instruments.» Avec la prise en compte du corps vont l’observation de soi et des autres, l’occupation de l’espace, la libération de l’énergie… Aline y trouve «des réponses pour mieux comprendre comment le corps peut permettre aux adolescents de s’épanouir».

C’est avec eux que le Chœur d’adultes professionnels EVE, fort d’une première expérience de la scène en juin dernier, investira la Philharmonie en fin de saison pour un concert labellisé «Olympiade culturelle». Le temps du concert reste important pour les professeurs, qui y voient leurs élèves en situation. «C’est un aboutissement pour les jeunes, confirme Aline, mais l’on se rend compte aussi que cela ne s’arrêtera pas là. Même nous, ce projet nous a transformés.»

Le projet EVE est mené par la Cité de la musique - Philharmonie de Paris avec le soutien financier de la Fondation Bettencourt Schueller, mécène fondateur, et mené en partenariat avec l’académie de Créteil, l’académie de Paris et l’académie de Versailles.