On trouverait difficilement meilleur choix que le guitariste et chanteur de blues Eric Bibb pour évoquer les influences musicales que puise Jean-Michel Basquiat, à la fois au cœur de la musique des griots d’Afrique de l’Ouest et au sein du blues, la musique du diable, dont le peintre imprègne massivement son œuvre. Pour Basquiat comme pour Bibb, l’Afrique représente une matrice. Le blues en est l’étoile polaire. Leur goût pour une musique à hauteur d’homme trouve sa source dans un besoin d’humanité, de rencontres, de voyages, de vécu.
En 2012, quand le bluesman américain sort l’album Brothers in Bamako (Dixiefrog/Harmonia Mundi), il sollicite le musicien malien Habib Koité. Onze ans plus tard, Bibb invite le guitariste, chanteur et compositeur africain à chanter à ses côtés à la Philharmonie de Paris. C’est d’ailleurs en Europe, surtout en France, que ces deux artistes ont trouvé leur public. Ils se connaissent depuis plusieurs tournées. Ils ont écouté les artistes engagés, se battent pour les droits civiques, s’inspirent des luttes passées et à venir, et tressent un lien avec une longue tradition de musiciens qui associent l’art et le souci de justice. Tous deux sont connectés à la musique de Louisiane, la musique créole, que vénérait Jean-Michel Basquiat, et au zydeco
La musique d’Eric Bibb observe le monde, s’inspire des événements, délivre un point de vue. À son sens, les musiques voyagent, échangent, s’influencent mutuellement. Dans l’album Migration Blues (Dixiefrog/Harmonia Mundi, 2017), le guitariste ravive un thème de prédilection de la musique afro-américaine, celui des migrants. Le troubadour à la voix douce se considère comme un citoyen du monde. Quand il entend parler des réfugiés, quand il en croise, qu’il les écoute, Bibb constate que le destin d’un Kurde en fuite n’est pas éloigné de «celui d’un cueilleur de coton du Mississippi prenant le large vers Chicago en 1923. Les deux fuient la guerre ou les difficultés économiques». Émigrer et jouer le blues convergent vers un accomplissement identique: transcender le fatalisme, soit rendre le pessimisme positif. Tout cela dans une finalité espérée: le maximum de liberté. À l’image de Jean-Michel Basquiat.
Dans une interview qu’il nous avait récemment accordée, Eric Bibb lançait ce cri: «Le monde saute de drame en drame. On ressent tous le besoin de se comprendre. Quel autre choix avons-nous que de nous mettre en mouvement, de nous adapter tout en restant de grandes âmes? À plus de soixante-dix ans, je me targue de frétiller comme un adolescent. D’avoir opté pour l’exil très tôt dans l’existence me rassure, me donne les moyens de grandir. Je vis à Stockholm. À ceux que leur patrie déçoit, qui ont besoin d’un nid ailleurs, je livre le conseil suivant: voyagez!... Vous n’appartenez pas à votre patrie d’origine! Je me sens proche d’un Vénézuélien, d’un Arménien ou d’un Serbe. Des nourritures appréciables nous attendent à destination. C’est ainsi qu’à Paris, j’en ai appris mille fois plus sur les racines de la musique afro-américaine que si j’étais resté planté à New York! Une autre illustration: plusieurs bluesmen de renom comme J.B. Lenoir, Big Joe Williams, Robert Pete Johnson, ont émigré en Suède. Ils y ont laissé un héritage considérable. J’y ai retrouvé mes racines.»
Bibb a-t-il un équivalent dans l’histoire du folk-blues? Les analystes le comparent à Reverend Gary Davis, un virtuose très populaire dans les années cinquante, certes davantage preacher que bluesman. Ce dernier était un as du fingerpicking blues
Avec Habib Koité, Eric Bibb dirige pour ce concert un groupe aux origines diversifiées. Ainsi, l’immense Dirk Powell (banjo, accordéon, violon) les accompagne. Lauréat de quatre Grammys, l’Américain est une célébrité de la country. Il sera épaulé par le banjoïste (et violoniste) de musique créole Cedric Watson. Autre maître présent à la Philharmonie de Paris, le Sénégalais Lamine Cissokho, considéré comme l’un des plus grands joueurs de kora d’Afrique de l’Ouest. Mama Koné, qui apparaissait sur l’album Brothers in Bamako, assurera les parties de percussions et de calebasse. Glen Scott, arrangeur anglais né de parents jamaïcains, tiendra la basse. La chanteuse Shaneeka Simon, l’une des vedettes des chœurs britanniques de gospel St Martin-in-the-Fields, se joindra à eux.