Ce qui rend l’œuvre de Basquiat si reconnaissable, si unique, c’est l’appropriation du quotidien, de la coïncidence et de l’importance apparente. Fondé sur la connaissance, son art se situe dans une zone de tension entre la poésie concrète, la technique du cut-up de William S. Burroughs et le rap du hip-hop. Burroughs, qui a connu une popularité tardive, a commencé à découper et à réarranger des textes au moment où émergeait la culture hip-hop pendant les années 1980, puisant dans l’esprit de l’époque : « La vie est un cut-up. Dès que l’on marche dans la rue, la conscience est découpée par des facteurs aléatoires. Le cut-up est plus proche de la réalité de la perception humaine que la narration linéaire. » À l’instar de Burroughs, Basquiat, avec ses cut-ups abrupts, a rompu avec les normes sociales et a profondément innové sur le plan artistique. Dans une œuvre comme CPRKR, il crée l’unité visuelle « de forme et de contenu » que l’artiste multidisciplinaire suédois Öyvind Fahlström appelait de ses vœux en 1953 dans son Manifeste pour une poésie concrète. Voyant dans le langage un matériau offrant une multitude de possibilités expérimentales, Basquiat a pu se libérer de son utilisation traditionnelle du langage et « PRESSER le matériau du langage », comme le demandait Fahlström. Dans un réseau de liens constamment retissés, Basquiat utilise la grammaire de l’alternance et de la répétition visuelle simple, des amplifications et des rythmes, de la rythmisation comme moyen de composition physiquement efficace. Ses lettres, ses mots, ses modifications du cadre de lecture et ses dessins, partiellement transformés et répétés, génèrent un rythme visuel, comme la poésie sonore traduite sur le mode visuel, pratiquée par des artistes comme Raoul Hausmann ou Kurt Schwitters dans son Ursonate. « Quand on lit les toiles à haute voix, avec la répétition, le rythme, on entend Jean-Michel penser », souligne avec à-propos Fab 5 Freddy.
Basquiat Soundtracks, catalogue de l’exposition, Vincent Bessières, Dieter Buchhart, Mary-Dailey Desmarais (dir.), Éd. Gallimard, Paris, 2023.