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Dieter Buchhart commente Car Crash de Jean-Michel Basquiat

Publié le 14 juin 2023 — par Dieter Buchhart

— Dieter Buchhart commente Car Crash

Dieter Buchhart commente Car Crash

Car Crash a été réalisée en 1980-1981. C’est l’une des œuvres majeures de Jean-Michel Basquiat. Il a utilisé très peu de peinture, un peu de peinture acrylique, en partie directement depuis le tube, par exemple pour cette bordure rouge. Et puis il a calligraphié des lettres dans un style qui rappelle Cy Twombly. On peut lire le mot « catalyst », ou les lettres « p-a-s-p-t-r », ou encore, ce poème sonore en haut du tableau : « o-r-r-o, orrooo »... On pense à Kurt Schwitters, et on imagine un poème sonore. Sur un autre plan, les couleurs sont fantastiques. On voit tout ce vert, ici, qui contraste avec le blanc, puis le rouge, et les couleurs complémentaires, l’orange et le vert, contraster avec le jaune et ce rouge maculé qui vire peu à peu au rose. C’est une œuvre qui résume tout ce qui préoccupait Basquiat, tout ce qui l’intéressait en 1980-1981. Il y a bien sûr des détails comme ce « MLK », qui, avec le « i », forme « MILK », sur le camion du laitier, et le lait, c’est la blancheur. Et d’un autre côté, MLK, c’est Martin Luther King. Basquiat joue sur les mots et leur symbolique. D’un côté, on a le révérend King, qui se bat pour plus d’humanité, pour l’égalité, pour les droits des Afro-Américains. Il a signé sur le cadre, donc c’est très important de pouvoir voir le châssis et là où il a signé. Car Crash est sa première œuvre majeure. C’est le genre de chef-d’œuvre que tous les artistes rêvent de créer quand ils débutent. Basquiat se promenait avec cette toile. Il l’avait avec lui, il la déroulait sur le trottoir pour la montrer à des connaissances ou à des amis, comme une façon de dire : « Voilà ce que je fais. » C’était en quelque sorte sa carte de visite. C’est donc une œuvre très spéciale et importante. Plus tard, il l’a posée sur un châssis : une structure bricolée avec quelques lattes de bois, sur laquelle il a jeté la toile. Car Crash fera partie de la collection de Glenn O’Brien, présentateur légendaire de l’émission TV Party et figure emblématique de la scène artistique new-yorkaise. L’origine de cette œuvre est aussi capitale qu’elle l’était pour Basquiat. Aujourd’hui, au début de l’exposition, elle symbolise le rôle de la musique dans l’œuvre de Basquiat. Sa façon de « montrer » le son se retrouve dans plusieurs éléments du tableau. D’abord, par l’accident lui-même, dont Basquiat symbolise l’instant par le son. On « voit » le son. D’un autre côté, comme le disait Fab 5 Freddy, Basquiat voulait qu’on lise ses toiles à voix haute. Donc ces poèmes sonores, ces mots vous invitent, en tant que visiteur, à les lire, à les lire à haute voix, à créer ce son, à créer de la musique. C’est le but de cette œuvre.

Entretien : Tristan Duval-Cos
Réalisation : Laurent Sarazin - Imaginé productions
Montage : Olympe Petrou - Imaginé productions
Sous-titrage & traduction : OpenCaption
© Cité de la musique - Philharmonie de Paris

Tableau sonore chargé de multiples significations, Car Crash résume les grandes préoccupations de Jean-Michel Basquiat au début des années 1980.

Ce qui rend l’œuvre de Basquiat si reconnaissable, si unique, c’est l’appropriation du quotidien, de la coïncidence et de l’importance apparente. Fondé sur la connaissance, son art se situe dans une zone de tension entre la poésie concrète, la technique du cut-up de William S. Burroughs et le rap du hip-hop. Burroughs, qui a connu une popularité tardive, a commencé à découper et à réarranger des textes au moment où émergeait la culture hip-hop pendant les années 1980, puisant dans l’esprit de l’époque : « La vie est un cut-up. Dès que l’on marche dans la rue, la conscience est découpée par des facteurs aléatoires. Le cut-up est plus proche de la réalité de la perception humaine que la narration linéaire. » À l’instar de Burroughs, Basquiat, avec ses cut-ups abrupts, a rompu avec les normes sociales et a profondément innové sur le plan artistique. Dans une œuvre comme CPRKR, il crée l’unité visuelle « de forme et de contenu » que l’artiste multidisciplinaire suédois Öyvind Fahlström appelait de ses vœux en 1953 dans son Manifeste pour une poésie concrète. Voyant dans le langage un matériau offrant une multitude de possibilités expérimentales, Basquiat a pu se libérer de son utilisation traditionnelle du langage et « PRESSER le matériau du langage », comme le demandait Fahlström. Dans un réseau de liens constamment retissés, Basquiat utilise la grammaire de l’alternance et de la répétition visuelle simple, des amplifications et des rythmes, de la rythmisation comme moyen de composition physiquement efficace. Ses lettres, ses mots, ses modifications du cadre de lecture et ses dessins, partiellement transformés et répétés, génèrent un rythme visuel, comme la poésie sonore traduite sur le mode visuel, pratiquée par des artistes comme Raoul Hausmann ou Kurt Schwitters dans son Ursonate. « Quand on lit les toiles à haute voix, avec la répétition, le rythme, on entend Jean-Michel penser », souligne avec à-propos Fab 5 Freddy.


Basquiat Soundtracks, catalogue de l’exposition, Vincent Bessières, Dieter Buchhart, Mary-Dailey Desmarais (dir.), Éd. Gallimard, Paris, 2023.

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Dieter Buchhart

Dieter Buchhart est critique d’art et co-commissaire de l’exposition Basquiat Soundtracks.

  • Texte : Dieter Buchhart
  • Entretien : Tristan Duval-Cos
  • Réalisation : Laurent Sarazin - Imaginé productions
  • Montage : Olympe Petrou - Imaginé productions
  • Sous-titrage & traduction : OpenCaption
  • © Cité de la musique - Philharmonie de Paris