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Exposition Musicanimale : Le Cerf-Volant d'Erik Nussbicker

Publié le 12 octobre 2022 — par Philharmonie de Paris

— Entretien avec Erik Nussbicker

Exposition Musicanimale : Le Cerf-volant d’Erik Nussbicker

Erik Nussbicker : La première version du cerf est placée au sol sur un tapis de crin de cheval qui fait à peu près 120 kilos. C’est un tapis assez épais, avec tous les os du cerf, transformés en instruments de musique, posés au sol, et j’en fais une performance, une présentation de 45 minutes. Je l’ai présenté assez régulièrement en public, et là, pour cette fois, avec Jean-Hubert Martin, en discutant, on en est arrivé à souhaiter le voir suspendu. Donc j’ai commencé à réfléchir là-dessus. J’avais des projets de suspension, mais avec des fils multicolores, qui mettent en lien tous les objets, tous les os ensemble. Un peu comme des fils d’Ariane, invisibles, qui relient les os les uns aux autres, comme si le corps était reconstitué. C’est un peu comme des nerfs, quelque chose qui transporte de l’énergie. Et je les ai disposés en corolle, ce qui correspond à la position des os dans le corps du cerf, mais pas seulement. Il y a aussi les questions d’harmonisation avec les différents types d’instruments, où l’organologie est respectée, aussi. Et donc, on peut voir ces os d’assez près, même s’ils sont suspendus, avec le trophée au centre. J’ai transformé cette idée musicale en couleurs, avec ces liens extrêmement fins, et en même temps, pour cette exposition, a été produit un court métrage, avec deux versions, une version courte qui est présentée ici, et une version longue qu’on peut voir avec un QR code, qui permet de voir la performance. Je me suis rendu compte, en commençant à traiter les os, que ce n’était pas seulement formel. Ne serait-ce que le fait de récupérer les os, c’est la forme, c’est l’odeur, c’est la texture. À l’époque, j’avais travaillé avec le Muséum d’Histoire naturelle de Paris pour préparer les os. Ensuite, puisqu’il y a une symétrie, il fallait que je trouve aussi des instruments de musique, une organologie adaptée pour chaque forme, pour obtenir la famille d’instruments la plus riche possible. Et au fur et à mesure du travail, certains prototypes ont été faits en roseau, en bambou. J’ai pratiqué des perces, mais je ne pouvais pas me planter. Il fallait que je réussisse pour chacun d’eux, comme une opération. Je me suis rendu compte que j’avais déjà une certaine expérience en lutherie pour avoir créé des instruments pour moi, ou que j’ai offerts. Et dans le milieu musical, j’ai fréquenté aussi des métiers. Et du coup, j’ai pu moi-même produire toutes ces lutheries sans trop de mal. Ça m’a aussi ouvert sur une forme de lutherie expérimentale, archéologique, pour me retrouver dans la position de ceux qui, il y a 35 000 ou 40 000 ans, ont produit eux-mêmes des flûtes dans certains os, ou parfois dans des roseaux. Au départ, je n’ai de rapport avec la musique qu’avec la vibration, et notamment, la vibration des matériaux. Quand on travaille de longues années sur les matériaux, on se rend compte que, pour les sentir, pour savoir comment ils sont faits, de quoi ils sont faits, s’ils ont des défauts, certaines qualités, on les écoute. Que ce soit pour la pierre, le métal... On les fait résonner. Ça a commencé comme ça. Puis, au fur et à mesure, j’ai articulé ces sonorités et du coup, la sonorité est venue presque plus en avant que la matière elle-même. Donc il y a aussi une forme d’allégement, dans le sens où le son est prépondérant, et il tourne quasiment en permanence dans mon travail. Aujourd’hui, j’ai présenté cette pièce qui ressemblerait en quelque sorte à l’idée que je me fais de mon travail aujourd’hui, ou en tout cas de la vision que j’ai du monde, où tout est relié. Parce que cette pièce est susceptible d’être mobile, au sens où, si on fait monter le trophée, les poulies du haut font descendre les instruments et je peux en jouer. Donc tout est relié, tout est articulé, tout est fluide. L’os du cerf étant assez grand, il ressemble parfois étrangement à l’os humain. Et donc j’ai commencé à travailler sur des os humains, et notamment un crâne. Pour les os longs, certaines flûtes, et pour le crâne, j’ai fait un ocarina, avec un crâne humain.

Entretien : Tristan Duval-Cos
Réalisation et montage : Imaginé productions
© Cité de la musique - Philharmonie de Paris

Dans l'exposition Musicanimale, l'œuvre performative d'Erik Nussbicker Le Cerf s'est muée en Cerf-Volant. Les os de l'animal, transformés en instruments de musique, sont exposés en suspension dans les airs, reliés les uns aux autres par des cordons colorés.

Le Cerf est une œuvre qui donne à entendre un large éventail sonore issu de ses structures osseuses et devenu un instrumentarium universel inspiré des premières lutheries de l’âge de pierre. De ces artéfacts résonnent jusqu’à nos oreilles les débuts de l’humanité. La crécelle produite à partir du maxillaire inférieur d’un équidé est encore en usage dans la culture andine et péruvienne. Des flûtes en os «canon» métacarpien remontent parfois à quarante mille ans. Au Tibet, au Japon, certaines trompes en os animaux ou humains font partie intégrante de cérémonies depuis l’aube de l’humanité. Minérale par essence, la matière osseuse a la capacité de conserver jusqu’à nos jours les fragments d’une intention audible inscrite dans le calcium pour l’éternité.

Du Cerf au Cerf-Volant.

À l’occasion de l'exposition Musicanimale, le titre original de l’œuvre performative Le Cerf fait place au Cerf-Volant. Sous cette forme, les instruments se trouvent en suspension, reliés les uns aux autres, à la fois mobiles et interdépendants. Un faisceau de cordons multicolores se substitue à la moelle épinière et coulisse par le canal médullaire de l’atlas, vertèbre support du crâne. Le faisceau se ramifie en vingt-huit terminaisons enluminées jusqu’aux restes des structures osseuses instrumentales. 

Erik Nussbicker


Musicanimale. Le grand bestiaire sonore, Marie-Pauline Martin & Jean-Hubert Martin (dir.), Gallimard | Musée de la musique-Philharmonie de Paris, Paris, 2022

 

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