L’installation Panzer du Berlinois Nik Nowak détourne l’objet sound system et constitue une allégorie des musiques jamaïcaines.
L’art que vous produisez prend-il racine dans la culture jamaïcaine du sound system?
Nik Nowak : Complètement, mais pas seulement. Quand j'étais ado, je me suis lié d'amitié avec DJ Abdullah, un Rasta qui organisait des soirées reggae et dub dans mon quartier, des soirées très mixtes qui m’ont donné l’amour de cette culture-là. Dans le même temps, au cours de ces années passées dans la région Rhin- Main, j'étais le témoin direct de la forte présence militaire américaine – il y avait une base à proximité –, ainsi en 1991, lors de la guerre du Golfe.
Comment en êtes-vous venu à considérer le sound system comme un objet artistique ?
À l’époque où j'étudiais à l’École des Beaux-Arts de Berlin, j’ai créé de grandes œuvres murales dans mon studio tout en produisant de la musique électronique, des paysages sonores réalisés à l'aide de samplers MPC ou Roland SP-303, qui m’ont permis d’accéder à un univers mental propice ; d’ailleurs, le fait de voir peindre in situ Danny Coxson, le mural artist jamaïcain de l’exposition Jamaica Jamaica !, qui ne pouvait travailler que si sa sono mobile l’isolait complètement par la musique, m'a rappelé bien des souvenirs ! Ayant le même besoin, j’ai fabriqué en 2005 mon premier sound system mobile, pour rendre transportable tout mon studio, un hybride entre une voiture tuning, une enceinte et un bureau… Un objet absurde qui a fini par devenir une série de sculptures sound system que j'ai développées au fil des ans pour sonder les différents aspects, physique et psychologique, du son.
Au-delà de la musique, que signifie pour vous le sound system ?
Je le vois comme un catalyseur culturel, un phénomène local résultant de liens complexes entre les sphères politico-culturelles et leur arsenal technologique. Je suis aussi fasciné par l’impact de la machinerie sur le design du son, mais aussi par cette idée du corps social fonctionnant comme un aller-retour réverbératif sur la production du son en question. Tous ces aspects nourrissent mes sculptures et mes performances. Le Panzer concrétise l’idée de la musique comme arme culturelle et fragilise les cloisons entre catégories artistiques : il peut aussi bien s’exposer dans de prestigieux musées que se voir impliqué dans des parades de rue - c'est la haute culture face à la subculture.
Vous avez également été commissaire de Booster – Art, Sound, Machine au musée Marta-Herford en 2014, une exposition réunissant plusieurs artistes qui ont choisi le sound system comme médium. Quels sont ceux qui vous ont le plus influencé ?
Tout d’abord le New Yorkais Tom Sachs. Lorsqu’il a présenté son installation Nutsy’s à Berlin, en 2000, cela a été un encouragement, un petit triomphe d’entendre jouer sur cet énorme mur d’enceintes un morceau de Horace Andy, à l’intérieur de l’immeuble de la Deutsche Bank ! Je l’ai interprété comme une manifestation supplémentaire de la capacité des sound systems à véritablement bousculer les ordres établis, à infiltrer le pré carré des privilégiés.
J’ai aussi beaucoup apprécié ma rencontre avec le Pékinois Shi Jinsong, en 2006. Même si nous avons des parcours artistiques et culturels totalement différents, il y avait quelque chose de commun dans nos travaux autour de cette notion de sound system. C’est grâce à ce fil rouge et des recherches sur le phénomène mondial des sound systems mobiles et son rayonnement sur les arts que j’ai pu faire cohabiter à Booster aussi bien John Cage que Lothar Baumgarten, Jean Tinguely et Marcel Duchamp que John Cage et Santiago Sierra au AUDint.
Nik Nowak évoque le son et son installation phare, le Panzer.
Dans Jamaica Jamaica !, le Panzer joue une bande-son composée de tubes de dancehall jamaïcains, sélectionnés par le légendaire Neil Case, dit Bass Mekanik. Pouvez-vous présenter votre collaboration ?
En 2016, le festival d’art contemporain Art Basel m’a demandé de proposer une performance avec le Panzer. Pour moi, Miami est vraiment la ville des sound systems embarqués dans les voitures, les « Boom Cars ». J’ai donc réussi à contacter Neil Case et Billy E, deux pionniers du style de rap développé spécifiquement pour cette scène auto, le Miami Bass, dont on peut nommer quelques tubes légendaires : Quad Maximus, 808, etc. J’ai découvert que Neil avait grandi à Kingston et avait même été ingénieur du son pour de grands artistes reggae, au studio Dynamics. Pour Miami, nous avons organisé cette rencontre sous la forme d’un clash mais pour Jamaica, Jamaica ! nous avons décidé de nous associer. Ainsi, le Panzer diffuse cette bande-son qui est un hommage aux racines de Neil.