Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Pionniers Américains #4 - Steve Reich, vers un minimalisme luxuriant

Publié le 25 octobre 2021 — par Max Noubel

— Steve Reich et Beryl Korot - © Wonge Bergmann

En 1964, Steve Reich eut le privilège de participer à la création de la pièce répétitive pour ensemble In C, de Terry Riley. L’implication dans cet événement majeur, d’un minimalisme à peine éclos, le convainquit de se tourner vers ce courant musical.

— Steve Reich : It’s Gonna Rain (1965)

Steve Reich dépassa rapidement le cadre trop étroit de In C, pièce bâtie à partir de petites cellules tonales de quelques notes évoluant très progressivement. Ses premières compositions pour bandes, réalisées au San Francisco Tape Music Center, dont It’s Gonna Rain (1965), lui permirent de travailler sur le principe de déphasage graduel : deux magnétophones jouent simultanément la même boucle enregistrée et, progressivement, la vitesse de l’un d’eux est ralentie. La désynchronisation génère alors de nouveaux éléments rythmiques, mélodiques et timbriques qui enrichissent considérablement la musique. Reich exploita ensuite cette technique dans diverses œuvres instrumentales et la poussa à son plus haut degré de raffinement dans Drumming (1970-1971) pour ensemble de percussions et voix.

— Steve Reich : Drumming (1970-1971) – Ensemble de percussions de l'Université de Moncton

Ayant créé son propre ensemble instrumental, il se lança alors dans des compositions à effectif plus large, comme Music for 18 Musicians (1974-1976), sans doute sa pièce la plus populaire et la plus fréquemment jouée. L’œuvre possède une structure harmonique beaucoup plus riche que celle des compositions précédentes puisqu’elle repose sur un cycle de onze accords présentés au début et à la fin de la pièce et mis en valeur par la pulsation. L’écriture mélodico-rythmique, mais aussi les sonorités percussives témoignent de l’influence du gamelan balinais ainsi que des percussions africaines que Reich était allé étudier au Ghana, en 1970.

— Steve Reich : Music for 18 Musicians (1974-1976) – Synergy Vocals et les solistes de l’Ensemble intercontemporain

La redécouverte du judaïsme et l’apprentissage de l’hébreu marquèrent une nouvelle évolution de la musique de Reich qui se manifesta notamment par un développement de l’écriture mélodique. De 1976 à 1977, il étudia à New York et à Jérusalem les formes traditionnelles de cantillation des textes sacrés hébraïques dont Tehillim (1981) sera l’écho. L’œuvre est écrite pour quatre voix de femmes et un petit ensemble instrumental. C’est la première composition dans laquelle Reich abandonna le principe de répétition de courts motifs au profit de l’utilisation de canons écrits pour des mélodies vocales plus amples et plus souples respectant la déclamation de l’hébreu. Le rythme ne repose plus sur une pulsation stable, mais fluctue tout au long de la pièce, et le langage harmonique s’enrichit de nombreux chromatismes. 

— Steve Reich : Tehillim (1981) – Insomnio et Synergy Vocals, dir. Ulrich Pöhl

Dans les années suivantes, la musique de Reich va s’éloigner progressivement du minimalisme. Dans City Life (1995), pour instruments et samplers, deux claviers sont utilisés pour jouer en direct des fragments de paroles et des bruits urbains échantillonnés, tandis que dans Proverb (1995), c’est la musique médiévale et, plus particulièrement celle de Pérotin, qui permet un renouvellement de la forme. Avec The Cave (1990-1993), conçu autour d’Abraham, père des trois religions monothéistes, Reich aborde la création multimédia en insérant une vidéo réalisée par son épouse Beryl Korot. Une de ses toutes dernières œuvres, Traveler’s Prayer (La prière du voyageur) témoigne de l’intérêt de Reich pour les événements qui ont marqué, souvent tragiquement, les civilisations et les hommes. La composition de l’œuvre fut entreprise avant la pandémie de Covid-19 et s'acheva en 2020, alors que le virus continuait à se propager, ce qui eut pour conséquence de donner une résonance toute particulière aux trois extraits bibliques mis en musique. « Voici, j'envoie devant toi un messager pour te protéger en chemin et pour t'amener au lieu que j'ai préparé » (Exode 23:20). « À ta ligne de vie je m'accroche, Éternel… » (Genèse 49:18). « L'Éternel gardera ton départ et ton arrivée dès maintenant et à jamais » (Psaume 121). L’écriture mélodique de Traveler’s Prayer, qui utilise les techniques de renversement et de rétrogradation, témoigne de l’influence de Johann Sebastian Bach.

— Steve Reich : Traveler's Prayer (2020) – Colin Currie Group et Synergy Vocals
Max Noubel

Max Noubel est maître de conférences en musicologie à l’Université Bourgogne Franche-Comté et chercheur au Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL). Ses travaux portent sur les musiques des XXe et XXIe siècles et, plus particulièrement, sur celles des États-Unis.