C’est au cours des années 1920 que la musique savante américaine parvint à se défaire de son complexe vis-à-vis de l’Europe en se tournant vers une conception de la modernité qui lui était propre.
Le petit groupe de compositeurs qui s’étaient proclamés « les ultramodernes » fit de la radicalité un fer de lance contre le conservatisme des grandes institutions musicales et contre l’influence grandissante du néoclassicisme. Peu sensibles à l’essor spectaculaire du jazz qui séduisait George Gershwin ou Aaron Copland, les ultra-modernes pensaient plutôt que la musique d’avant-garde devait impérativement se doter d’un langage résolument atonal reposant sur de nouveaux concepts. Il s’agissait cependant de se démarquer du dodécaphonisme sériel de Schönberg, même si certains sympathisants du courant ultramoderne, comme Wallingford Riegger (1885-1961) ou Adolph Weiss (1891-1971), reprirent à leur compte les théories musicales du Viennois et contribuèrent à leur diffusion sur le sol étasunien.
À la tête de l’International Composer’s Guild, qui avait l’ambition de faire de New York la capitale mondiale de la musique moderne, le Français Edgard Varèse (1883-1965), naturalisé américain en 1928, œuvra sans relâche à la promotion des œuvres des ultramodernes grâce à des programmes de concert particulièrement audacieux. Les pièces pour ensemble de Varèse comme Hyperprism (1922-23), Octandre (1923) ou Intégrales (1924-25) témoignent de l’enthousiasme pour une civilisation américaine qui célébrait la nouvelle ère technologique et s’épanouissait dans un environnement urbain envahi par les rythmes répétitifs et obsédants des machines, les grondements des moteurs ou encore les hurlements des sirènes des pompiers. Carl Ruggles (1876-1971) élabora quant à lui un contrepoint dissonant rigoureux qui inversait les règles académiques de la musique tonale en faisant de la dissonance la norme et de la consonance l’exception. Avec ce procédé de composition, il produisit des pièces orchestrales imposantes comme Men and Mountains (1924) ou Sun-Treader (1931) qui sont aujourd’hui des fleurons de la musique symphonique américaine.
Ruth Crawford -Seeger (1901-1953) développa le contrepoint dissonant de façon très personnelle, notamment dans une série de pièces de musique de chambre. Son Quatuor à cordes (1931), dont la texture sonore de l’Andante annonce Ligeti, rivalise de beauté et d’inventivité avec les grands quatuors de Bartók et de Schönberg.
Le Californien Henry Cowell (1897-1965) fut lui aussi un infatigable défenseur de la musique d’avant-garde américaine en même temps qu’un compositeur aussi original que prolifique et qu’un théoricien aux idées visionnaires. Ses œuvres pour piano, qui utilisent des clusters joués avec la paume de la main ou avec l’avant-bras ainsi que des techniques de jeu « à l’intérieur du piano » en pinçant ou en grattant les cordes avec les ongles, ont révolutionné l’approche de l’instrument. Ces modes de jeu ont fortement influencé John Cage (1912-1992) pour la réalisation de son piano préparé.
Les recherches de Cowell sur le rythme, expérimentées notamment grâce à l’invention du Rhythmicon (une sorte d’ancêtre de la boîte à rythmes), étaient aussi particulièrement novatrices. Conlon Nancarrow (1912-1997) sut en tirer profit lorsqu’il conçut les polyrythmes extrêmement complexes de ses Études pour piano mécanique.