Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Songs of America #5 - La country music, entre conservatisme et progressisme

Publié le 05 janvier 2021 — par Max Noubel

— Johnny Cash dans son ranch de San Antonio (Texas) en 1959 - © Don Hunstein / Bridgeman Images

Souvent qualifiée de « blues des Blancs », la country music, bien que généralement associée à la mouvance conservatrice et patriote, a aussi porté des idéaux défendus par la gauche américaine.

La country trouve ses origines dans un mélange complexe de musiques folkloriques importées d’Europe. Elle s’est d’abord développée dans le sud-est des États-Unis, mais compte aujourd’hui des millions d'amateurs à travers les États-Unis.

Avec ses nombreux studios d’enregistrement et ses musiciens talentueux, la ville de Nashville (Tennessee), surnommée The Music-City, est le cœur symbolique de la country music. Depuis 1927, l’émission radiophonique hebdomadaire de la ville, The Grand Ole Opry, consacre des programmes à ce genre musical.

Blancs ruraux et élites des métropoles

Bien qu’elle se soit répandue dans toutes les couches de la population, la country, souvent appelée le « blues des Blancs », a longtemps été considérée comme la musique des petites gens, des Blancs ruraux dont le mode de vie, simple et authentique, se situait aux antipodes de celui, frénétique et sophistiqué, des élites des grandes métropoles.

Au début du vingtième siècle, l’image de la country a été entachée par les défenseurs d’une idéologie nationaliste et raciste. Le Ku Klux Klan, et même le constructeur automobile Henry Ford, avaient parrainé des concours de violon country « à l’ancienne » afin de contrebalancer les influences noires et juives du jazz jugées corruptrices pour l’Amérique. Cependant, dans la réalité, cette musique était partagée par des musiciens noirs et blancs et les premiers disques de blues et de country n'étaient pas radicalement différents. De plus, l’influence du gospel était manifeste, comme en témoigne le chant « Were You There When They Crucified My Lord », magistralement interprété en 1962 par Johnny Cash et la famille Carter.

— « Were You There When They Crucified My Lord » par Johnny Cash et la famille Carter (1962)

Ce genre musical fut également associé à des courants conservateurs. En 1939, le grand producteur de musique country et candidat malheureux au poste de gouverneur du Tennessee, Roy Acuff, chercha à ridiculiser le projet de sécurité sociale du président Franklin D. Roosevelt avec sa chanson satirique « Old Age Pension ».

— Roy Acuff : « Old Age Pension »

Aujourd’hui, l’idée que la musique country est, et a toujours été, politiquement conservatrice et patriote est encore ancrée dans l’esprit de beaucoup d’Américains. Le sénateur Ted Cruz, candidat républicain à la primaire de l’élection présidentielle de 2016, a déclaré qu'il était devenu un inconditionnel de musique country dans les jours qui avaient suivi le 11 septembre, parce qu'il pensait qu’elle était bien plus patriotique que le rock. Rien d’étonnant si l’on songe que l’un des plus grands succès radiophoniques de l’époque, la chanson « Where Were You (When the World Stopped Turning) » d’Alan Jackson, a été écrite au lendemain des attentats terroristes.

— Alan Jackson : « Where Were You (When the World Stopped Turning) »

Idéaux de gauche

Mais la musique country a également servi à porter les idées progressistes de gauche. Dans les années 1930, en plein New Deal, Milton Brown et ses Musical Brownies, un groupe de country-jazz montagnard du Texas, avaient enregistré « Fall in Line with the N.R.A », une ode à la gloire de Franklin D. Roosevelt.

— Milton Brown : « Fall in Line with the N.R.A »

Woody Guthrie, qui eut une grande influence sur Bob Dylan, composa des ballades pro-syndicalistes, antiségrégationnistes et antifascistes, comme en témoigne sa chanson « Tear the fascists down ».

— Woody Guthrie : « Tear the fascists down »

Johnny Cash fut également une des grandes figures de la country engagée. En 1970, il fut invité par Richard Nixon à donner un récital à la Maison Blanche. Lorsque le président républicain lui demanda de chanter « Welfare Cadillac » de Guy Drake, Cash refusa, estimant que la chanson était dégradante pour les bénéficiaires de l'aide sociale (welfare), et chanta à la place « What Is Truth », une de ses propres compositions qui remettait en question la poursuite de la guerre au Vietnam.

— Guy Drake : « Welfare Cadillac » (1970)

 

— Johnny Cash - « What Is Truth » (1970)
Max Noubel

Max Noubel est maître de conférences en musicologie à l’Université Bourgogne Franche-Comté et chercheur au Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL). Ses travaux portent sur les musiques des XXe et XXIe siècles et, plus particulièrement, sur celles des États-Unis.