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Caroline Shaw, la voix royale

Publié le 17 octobre 2024 — par Vincent Théval

— Caroline Shaw - © Kait Moreno

En moins de quinze ans, la compositrice américaine Caroline Shaw s’est affirmée comme la plus brillante représentante d’une vision libre et ouverte des musiques contemporaines.
— Roomful of Teeth: Caroline Shaw’s Partita for 8 Voices (Extrait)

Quand elle reçoit le Pulitzer de musique pour sa pièce vocale Partita for 8 Voices en avril 2013, Caroline Shaw est tout juste trentenaire. Le prix couronne aussi un parcours musical exemplaire, entamé au plus jeune âge : commencé à deux ans, son apprentissage du violon l’emmène jusqu’à l’université de Yale, où elle obtient son master en 2007. Quand elle s’inscrit à l’université de Princeton pour entamer un doctorat en composition, Caroline Shaw a déjà rejoint – comme chanteuse – Roomful of Teeth, ensemble vocal formé en 2009 pour qui elle compose bientôt cette Partita for 8 Voices au destin flamboyant. C’est une œuvre a cappella virtuose, joyeuse et dynamique, que les interprètes parlent, murmurent, susurrent ou chantent à gorge déployée, s’inspirant par endroits de techniques de chant inuit. Séquencée en quatre mouvements baptisés d’après des danses baroques, la pièce emprunte à l’artiste américain Sol LeWitt certaines des instructions écrites pour exécuter les motifs géométriques de son œuvre Wall Drawing 305. La compositrice est depuis restée fidèle à Roomful of Teeth, avec qui elle chante et pour qui elle compose toujours, creusant le sillon d’une musique vocale d’aujourd’hui, embrassant les références et les époques avec grâce. 

Une étourdissante spirale créative

Mais la réception si enthousiaste et chaleureuse du travail de Caroline Shaw dès ses débuts a surtout conforté la jeune compositrice dans une vision kaléidoscopique et libre de ce que pouvait être son parcours. Et c’est dans la multiplicité des chemins empruntés que s’est épanoui un travail affranchi de toutes les étiquettes. Non seulement s’est-elle attaquée à une grande variété de formes, formats et genres, mais elle a aussi multiplié les rôles qu’elle pouvait y tenir : compositrice, musicienne, interprète, arrangeuse ou productrice. Dans une étourdissante spirale créative, Caroline Shaw compose pour l’écran ou pour l’orchestre, écrit des partitions vocales ou instrumentales pour la fine fleur des ensembles de chambre américains, comme Sō Percussion, Brooklyn Youth Chorus, Bang on a Can All-Stars ou Attacca Quartet. Ce dernier publie Orange en 2019, album salué par un Grammy Award qui réunit six compositions exclusives de Caroline Shaw pour quatuor à cordes, parmi lesquelles « Entr’acte » devient un classique instantané. L’ensemble new-yorkais et la compositrice se retrouvent en 2022 pour l’album Evergreen, composé de cinq pièces inédites, dont deux écrites pour quatuor et voix, que chante Caroline Shaw. Ce qu’elle met à mal ici, c’est l’image d’Épinal du compositeur isolé, répondant aux commandes en produisant des pièces qui vivront leur vie en parfaite autonomie, sous les archets, doigts et baguettes des autres. La musicienne a plutôt choisi de nouer des liens singuliers avec les ensembles pour qui elle compose, les intégrant parfois le temps d’un projet. C’est le sens des deux albums sublimes qu’elle enregistre avec le quartet Sō Percussion (Let the Soil Play Its Simple Part en 2021 et Rectangles and Circumstance en 2024) sur lesquels elle interprète des chansons à la puissance mélodique toute pop. Le genre a d’ailleurs des allures d’aimant pour Caroline Shaw, de sa collaboration avec Kanye West au mitan des années 2010 (avant, donc, l’entrée en disgrâce du rappeur pour antisémitisme avéré) à la formation du duo électro-pop Ringdown, auteur de quatre singles depuis 2023.

 

— Caroline Shaw & Sō Percussion - Rectangles and Circumstance

Trois projets différents à la Philharmonie

C’est cette diversité stylistique dont la programmation de la Philharmonie de Paris se fait l’écho du 20 au 23 novembre, en accueillant trois projets très différents. La cheffe Dalia Stasevska dirigera l’Orchestre de Paris pour la création française de The Observatory, pièce inspirée par une visite de l’observatoire Griffith de Los Angeles, où la compositrice met en regard la vastitude du cosmos et la banalité du quotidien de la ville, et revendique l’influence de Bach, Brahms et Beethoven. La Salle des concerts de la Cité de la musique accueillera ensuite Roomful of Teeth pour un programme qui proposera notamment trois extraits de Partita for 8 Voices. Enfin, avec le compositeur et chanteur Gabriel Kahane, également à l’aise dans l’écriture orchestrale comme dans le format chanson, Caroline Shaw donnera – entre autres réjouissances d’un programme en partie improvisé – la première française de leur création commune Hexagons. Soit la réunion de deux des talents les plus éclatants de la scène contemporaine, porteurs d’une même vision généreuse de ce que peut être la musique du temps présent : vivante, ambitieuse et accessible, joueuse et curieuse. 

— Caroline Show & Gabriel Kahane : Hexagons - © Jason Quigley

Vincent Théval

Pendant vingt ans, Vincent Théval a essentiellement travaillé dans le champ des musiques contemporaines : après avoir longtemps œuvré sur France Musique, avec notamment l’émission Label Pop, il est toujours chroniqueur sur RFI. Co-auteur du Nouveau Dictionnaire du Rock (Éditions Robert Laffont, 2014), il a été rédacteur en chef de la revue Magic. Il exerce aujourd’hui dans le domaine du spectacle vivant et collabore, comme auteur, avec le Festival d’Automne à Paris, le Théâtre National de Chaillot, le CENTQUATRE-PARIS, la Soufflerie à Rezé, Angers Nantes Opéra ou le Centre Chorégraphique National de Caen.