En 2013, elle devenait la plus jeune lauréate de l’histoire à remporter le prestigieux prix Pulitzer de musique pour sa pièce Partita for 8 Voices. «J’avais 30 ans et, à l’époque, je n’avais pas écrit beaucoup de musique, tempère Caroline Shaw. Personne ne savait ce qu’on pouvait attendre de moi… et moi, moins que quiconque! » Depuis, la compositrice américaine n’a cessé de surprendre et de confirmer. Après son prix, elle a collaboré avec des artistes comme Kanye West ou Rosalia, écrit de nombreuses œuvres de musique de chambre, tout en interprétant régulièrement sa Partita avec son ensemble vocal, Roomful of Teeth. Quel regard porte-t-elle d’ailleurs aujourd’hui sur cette pièce? «C’est une œuvre qui m’est très chère, mais reste empreinte de jeunesse! s’exclame-t-elle, et je suis très heureuse d’en donner un extrait à Paris avec mes complices de l’ensemble.» Le portrait que lui consacre la Philharmonie témoigne de l’étendue des talents de Caroline Shaw: chanteuse au sein de son groupe pour cette fameuse Partita (22 novembre), artiste pop, violoniste avec le musicien folk Gabriel Kahane (23 novembre), mais également rompue aux exigences des grands effectifs instrumentaux, avec en point d’orgue symphonique la création française de The Observatory par l’Orchestre de Paris les 20 et 21 novembre.
L’observatoire en question est le célèbre Griffith Observatory de Los Angeles, sans doute l’un des décors naturels de cinéma les plus célèbres au monde, autour duquel Damien Chazelle faisait encore récemment danser Emma Stone et Ryan Gosling dans La La Land. «La façon dont vous regardez la ville au sommet de la colline ressemble à la manière dont vous observez une partition d’orchestre, souligne la compositrice. Vous apercevez des boulevards comme des portées de musique sans fin. Vous distinguez des individualités, mais aussi une carte urbaine d’une incroyable complexité. J’ai voulu réaliser de forts contrastes, en passant par exemple de la masse de l’orchestre à un solo très intime du piano.» Créée en 2019 lors d’un concert sous le ciel nocturne du mythique Hollywood Bowl, l’œuvre est une commande de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles. Pour cette œuvre de dix-huit minutes en cinémascope, Caroline Shaw s’est d’ailleurs inspirée du mouvement des étoiles, et de ses souvenirs de films de science-fiction. «C’est mon genre cinématographique préféré. J’adore des films comme Interstellar ou Arrival (ainsi que leurs bandes originales), qui parlent de façon très intime de notre rapport à l’univers. » The Observatory est ainsi une invitation à s’interroger sur notre propre relation aux espaces infinis, dont le «silence éternel » effraye… Terreur ici conjurée par un motif musical doté d’un sens magique: une triade que Shaw associe à une «berceuse enfantine» et qui apporte un sens giratoire absolument irrésistible, ordonnant la dérive cosmique. De façon audacieuse, Caroline Shaw braque également les télescopes de son observatoire sur l’histoire de la musique. On reconnaîtra en effet des citations du Don Juan de Richard Strauss, du Troisième Brandebourgeois de Bach, de la Symphonie n°2 de Sibelius, de la Symphonie n°1 de Brahms… «J’ai essayé de reproduire l’aspect fragmentaire de notre écoute de la musique en 2024 et d’intégrer le classique à l’intérieur d’une esthétique moderne. J’ai très tôt visualisé la structure générale de la pièce, même si une grande partie de l’écriture s’est opérée de façon intuitive. J’aime le format des chansons en refrains et couplets, mais lorsque les très larges accords du début reviennent à la fin, ceux-ci ne se comportent pas de la même façon que lorsqu’ils nous ont accueillis.»
Caroline Shaw nous emmène dans un fabuleux voyage céleste : rendez-vous à l’Observatoire.