Habité, poétique, politique et farouchement contemporain, le spoken word de Kae Tempest prend une dimension particulière sur scène. Dans le cadre du festival Days Off, l’artiste présente son quatrième album, The Line Is a Curve.
Posés sur les pages de ses recueils de poésie ou portés par une voix où passent colère rentrée et vulnérabilité, les mots de Kae Tempest vont droit au cœur. À 36 ans, l’artiste britannique occupe une place très singulière sur la scène contemporaine, à la fois figure majeure de la littérature (Lion d’Argent de la Biennale de Venise pour son œuvre poétique en 2021, entre autres récompenses prestigieuses) et performer aux avant-postes d’une génération baignée de hip-hop, jazz et musiques électroniques. Une approche ouverte sur le monde tel qu’il est et tel qu’on voudrait qu’il soit, une recherche d’authenticité et de liberté qui ne trace pas de frontières entre les genres musicaux, entre les genres tout court. Non binaire. Depuis son premier et incandescent passage à Days Off en 2017, où sa rage et son tempérament avaient impressionné le public de la Cité de la musique, Kae Tempest a ôté une lettre à son prénom et encore gagné en liberté, embrassant pleinement une identité qui échappe au genre et au poids qu’il faisait peser jusque-là sur ses épaules. L’artiste ne se reconnaît ni dans le féminin ni dans le masculin. En anglais, ce sera they, en français, iel.
Tempest est né·e Kate en 1985 et a grandi dans une famille nombreuse de Brockley, quartier du sud-est de Londres, avant d’intégrer –jeune– une école d’art puis de passer un diplôme en littérature anglaise. En parallèle de ce parcours classique où affleure déjà ce qui fera sa singularité, un intérêt croisé pour la langue et les arts, Kae Tempest s’essaie très tôt aux open mic d’un petit magasin de hip-hop londonien. S’y forgent un caractère et une agilité vocale que l’artiste met bientôt au service du groupe Sound of Rum, qui publie l’album Balance en 2011 et déploie son mélange de sonorités rock et de rap sur les scènes du monde entier. La séparation du groupe en 2012 coïncide avec la parution d’un premier recueil de poèmes (Everything Speaks in Its Own Way) et avec une commande qui va changer la donne: ce n’est pas une chanson ou un album que Kae Tempest est invité·e à écrire mais une pièce de théâtre, Wasted.
C’est sur ce chemin que l’artiste avance désormais: l’écriture. Six recueils de poésie, trois pièces, un roman et un essai forment aujourd’hui une œuvre déjà consistante, dont ses disques ont longtemps été un prolongement. Largement salués par la critique et le public, les trois premiers albums de Kae Tempest (Everybody Down en 2014, Let Them Eat Chaos en 2016 et The Book of Traps and Lessons en 2019) sonnent davantage comme la brillante mise en musique de ses textes que comme des collections de chansons. Sur The Line Is a Curve, quatrième album aux sonorités très électro marquant ses retrouvailles avec les producteurs poids-lourds Dan Carey et Rick Rubin, iel développe une musicalité nouvelle, avec des morceaux très mélodieux et beaucoup d’invités: la chanteuse Lianne La Havas (vue à Days Off en 2021), le rappeur Kevin Abstract (du collectif américain Brockhampton) ou encore Grian Chatten, du groupe Fontaines D.C. Le flow de Kae Tempest, lui, est toujours aussi puissant et émouvant.