Philippe Aïche, premier violon solo de l'Orchestre de Paris durant trente-deux ans, nous a quittés à l'issue d'une cruelle maladie. L'émotion de ses collègues est à l'image de leur reconnaissance à l'égard de ce musicien passionné et exigeant.
La chaleur d’un son jamais démonstratif. L’intelligence analytique. L’autorité naturelle d’un vrai chef, guidé par un sens aigu de sa mission. Celui de l’humour aussi, quand se relâchait la pression du travail. Au lendemain de la disparition de Philippe Aïche, le 20 octobre 2022, des suites d’une longue maladie qu’il a combattue avec la pugnacité qu’on lui connaissait, ses collègues au sein de l’Orchestre de Paris se souviennent. Difficile d’imaginer, comme il aimait à le raconter, l’incrédulité de ses parents lorsqu’à huit ans, le directeur du conservatoire où il avait commencé un peu par hasard le violon deux ans plus tôt, avait attiré leur attention sur le talent du petit garçon qu’eux-mêmes trouvaient assez maladroit de ses mains! Deux décennies plus tard, après le Conservatoire national supérieur de Paris, l’entrée dans le rang et un passage par la place de deuxième solo, il devenait premier violon solo de l’Orchestre de Paris, position qu’il aura occupée durant trente-deux ans. Il menait en parallèle un parcours remarqué de musicien de chambre. Comme soliste, il s’était produit avec l’Orchestre de Paris lors de quelques concerts mémorables, dans Korngold ou Chostakovitch notamment, ou encore pour la création du Concerto d’Éric Tanguy, dont il était le dédicataire.
Il avait également dirigé ses pairs, ainsi que d’autres formations, assouvissant sa passion pour la direction– il était le chef en titre de l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire. Pédagogue au fort charisme, il aura aussi contribué à faire naître nombre de vocations. «J’ai suivi son enseignement dans la classe de Régis Pasquier, dont il était l’assistant au Conservatoire de Paris», se souvient Anne-Sophie Le Rol, violoniste de l’Orchestre. «À une époque où les études restaient tournées vers le répertoire soliste, lui nous faisait travailler les traits d’orchestre avec une justesse, une précision rythmique, une exigence qui nous éveillaient à d’autres vies d’artiste possibles. L’ampleur de sa culture musicale, la drôlerie dont il accompagnait sa poigne contribuaient à son aura. Il m’a encouragée à me présenter à l’Académie de l’Orchestre de Paris, puis au concours. Sans lui, je ne serais certainement pas là aujourd’hui.»
Deuxième violon solo de l’Orchestre, Eiichi Chijiiwa fut vingt-trois années durant aux côtés de Philippe Aïche, à une place idéale pour comprendre sa personnalité musicale et son mode de travail. «L’influence de Christian Ferras, son professeur au Conservatoire, est évidemment une clé de son style. Mais au brillant et à la puissance traditionnellement associés au son français, Philippe préférait l’intimité, la chaleur de l’école juive américaine d’un Itzhak Perlman. Soliste, chambriste et chef d’orchestre, il avait acquis une vision complète des partitions, et cette sûreté guidait son travail. Il parlait peu, montrait beaucoup, décidait vite. Son sens inné du leadership suscitait le respect, il n’était pas d’un abord commode ou facile d’accès, même si une fois la confiance établie, il adorait rire avec les collègues.» De nombreux chefs avaient eux aussi développé un profond respect devant cet interlocuteur qui ne craignait pas les désaccords, mais entraînait les musiciens avec une telle passion pour l’excellence. De Daniel Barenboim, qui avait le premier repéré son talent, à Klaus Mäkelä, en passant par Christoph Eschenbach et Paavo Järvi, avec qui il noua une collaboration étroite, tous pleurent aujourd’hui sa disparition.