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Metropolis de Fritz Lang en ciné-concert

Publié le 10 mai 2023 — par Clément Taillia

— Metropolis - © Fritz Lang

Vous croyez connaître Metropolis ? Vous le redécouvrirez sous un nouveau jour grâce à la partition de Martin Matalon, jouée sous la direction de Kazushi Ōno.
— Metropolis - Martin Matalon

« La bonne musique de film, c’est la bonne musique, tout court, celle qui peut s’écouter sans image. » Cette définition de Vladimir Cosma aurait-elle reçu l’assentiment de son aîné Gottfried Huppertz ? La partition luxuriante composée par ce dernier en 1927 pour Metropolis de Fritz Lang a beau foisonner de références à Bruckner et Wagner, assumer les éclats d’une orchestration grandiose, elle revient toujours aux images, au point de verser dans l’illustration. Montrer, souligner pour ne rien laisser échapper d’un propos complexe : sous la condamnation des inégalités sociales et des cadences infernales imposées aux ouvriers par les progrès de l’industrie, transparaît aussi une critique des contestations radicales et des révoltes violentes, conférant à Metropolis une profondeur rare dans le cinéma muet. Expliquer ce film, le rendre lisible et éloquent pour le public de l’époque était la grande ambition de Huppertz.

Deux films en un

Aujourd’hui, Metropolis fait partie des films les plus commentés de l’Histoire ; des thèses, des documentaires, des livres, des colloques lui sont consacrés, des groupes de rock ont repris son nom, des générations de cinéastes s’y sont référées. Une musique moins figurative est-elle devenue possible ? Martin Matalon répond par l’affirmative, soulignant l’audace et la modernité de la forme par-delà le message humaniste attendu : « Luis Buñuel a écrit qu’il y a deux films dans Metropolis. Un fondé sur un scénario plutôt conventionnel et manichéen. Mais aussi un poème total, inventif et novateur, qui doit tout à l’esthétique du cinéaste. » C’est en hommage à ce Fritz Lang avant-gardiste que Martin Matalon a d’abord composé pour 16 instrumentistes, suite à une commande de l’IRCAM en 1993. « À cette époque, les pièces les plus longues que j’avais écrites ne dépassaient pas 20 minutes. La durée a donc été très vite une obsession pour moi. J’ai découpé les 2h30 du film en une trentaine de scènes. Cela m’a permis de travailler la petite forme et de rechercher, dans chacune, ce qui déclenche la musique, selon que le film suggère une vivacité rythmique, des timbres particuliers, qu’on se trouve dans les catacombes ou les jardins suspendus. J’ai passé environ une année à réaliser des esquisses musicales pour chaque scène, une autre à équilibrer le tout, faire le lien entre ces cellules. »

— Metropolis - © Fritz Lang

Plutôt que de commenter les images, Martin Matalon a donc voulu faire écho à l’épure des décors, la modernité des plans, la force des protagonistes, aidé en cela par le réalisateur : « Lang est très architectural, son sens de la narration m’a aidé. J’avais fait des musiques sur des films de Buñuel, pour lesquels il fallait tout structurer. A contrario, cette narration, déjà très construite, offre beaucoup de liberté. » Une liberté qui s’exprime dans les références au jazz, l’utilisation de la guitare électrique et de la basse ainsi que le recours à l’amplification. En 2011, la découverte de 25 minutes d’images inédites déclenche un remaniement profond de la partition, et sa réécriture pour orchestre symphonique. « J’avais ce projet depuis plusieurs années et j’en ai parlé à Laurent Bayle qui a tout de suite été intéressé, se souvient Martin Matalon. La création prévue à la Philharmonie de Paris a été annulée du fait de la pandémie, et a eu lieu à Cologne. Pour moi, il s’agit d’autre chose que d’une simple orchestration. Pour cette masse d’environ cinquante musiciens supplémentaires, il a fallu créer de nouveaux plans sonores tout en laissant la place à de nombreux soli et à l’électronique. La variété des couleurs orchestrales m’a incité à développer des timbres spécifiques pour certains personnages, à effectuer quelques changements, comme dans la scène de la révolution : silencieuse dans la version pour 16 instrumentistes, elle fait ici l’objet d’un thème aux cordes. »

— Metropolis - © Fritz Lang

S’il y a deux films dans Metropolis, il y a aussi deux Metropolis selon Martin Matalon, destinés à coexister : « La version d’orchestre ne remplace pas la version d’ensemble, jouée un peu partout dans le monde depuis trente ans, et qui continue à être programmée. » Deux œuvres indépendantes, d’autres créations à venir, comme cette musique pour City Lights (Les Lumières de la ville) attendue en 2024. On ne résiste pas à l’envie de soumettre la définition de Cosma à Martin Matalon, qui conclut : « Bien sûr qu’une bonne musique de film doit pouvoir s’écouter sans les images ! Mais quand il s’agit de cinéma muet, je parle de ciné-concert plutôt que de musique de film, car alors, la musique est un protagoniste majeur. »