Né à Luanda, Paulo Flores lance des cris d’alerte et de révolte contre l’injustice et la brutalité de la nouvelle Angola, riche et inégalitaire. Sa musique sonne comme un manifeste, tout en donnant envie de danser.
En avril 2019, Paulo Flores se produisait sur la scène de la Casa de Musica à Talatona, quartier flambant neuf de Luanda, à l’occasion des Journées de la Paix. Un air de redite pour le chanteur qui, sept ans plus tôt à la même date, avait déjà été convié aux célébrations des accords ayant mis un terme à vingt-sept ans d’un conflit parmi les plus meurtriers du continent africain. C’est dire la portée symbolique que conserve cette figure de la scène angolaise dont la carrière s’étend sur trois décennies. Car bien que né en 1972 à Luanda – deux ans avant le début des hostilités –, Paulo Flores n’en a pas moins été affecté par l’interminable lutte fratricide entre MPLA et UNITA, deux mouvements issus de la guerre d’indépendance aux idéologies radicalement opposées. Son enfance se partage entre Lisbonne où vit sa mère et Luanda où survit son père, « discotequeiro » [disc-jockey], qu’il visite pendant les vacances. Dans l’Angola d’alors, le couvre-feu est effectif à minuit et les fréquentes coupures de courant hachent des soirées en boîte contraintes à la clandestinité. De ce demi-exil, des déchirements, frustrations, privations qu’il nourrit, Paulo Flores va s’extirper précocement. À l’âge de 16 ans il enregistre un premier disque, Kapuete Kamundanda, recueil sur lequel figure « Cherry » qui inaugure le kizomba (« fête » en langue kimbundu), un nouveau genre musical, fusion de rythmes zouk antillais et d’éléments traditionnels propres au Congo et à l’Angola, avec une prédominance pour les claviers électroniques. Paulo Flores s’y révèle comme le boutefeu de l’une des contagions musicales les plus invasives du monde lusophone, et s’impose comme un formidable commentateur des réalités de son pays, trouvant les bons mots pour évoquer l’extraordinaire résilience du peuple angolais et pour louer sa vitalité.
Le kizomba va dominer la production lusophone jusqu’au milieu des années 1990. Jusqu’aux premières incursions de Paulo Flores dans le semba traditionnel, guidé par le guitariste Carlitos Viera Dias. Les complaintes, interprétées d’une voix identifiable entre toutes, qu’enveloppe un délicat voile d’émotion, alternent avec des rythmes dansants où se combinent instruments électriques et acoustiques. À la fin des années 1990, sa contribution au renouveau et à la modernisation du semba est unanimement saluée. Son audace à y introduire des paroles en portugais mâtiné de kimbundu, tel qu’on le parle dans les muxeques (quartiers déshérités) de Luanda, va libérer un élément essentiel dans l’inconscient du peuple angolais, ancrer une identité jusque-là vacillante. Devenu la principale référence de la musique angolaise de sa génération, il choisit en 1999 de s’installer définitivement à Luanda afin de mener une quête artistique où fusionnent authenticité et modernité, et multiplie les collaborations notamment avec les Cap-Verdiens Tito Paris et Lura Tavares.
En 2009, dans la trilogie Excombatentes – du nom du quartier de Luanda où il habite et dont chaque rue porte celui d’un héros de la guerre d’indépendance –, Paulo Flores rend hommage au courage des libérateurs du pays tout en s’interrogeant sur le futur de celui-ci. La manne pétrolière a considérablement enrichi l’Angola. Elle a aussi profondément déstructuré sa société. Tandis qu’il questionne une cohésion perdue dans des textes poétiques au lyrisme engagé, Paulo Flores retourne à la matrice du semba. Pour son spectacle Raiz Da Alma [Racine d’Âme] en 2010, il revisite les classiques de la musique angolaise des années 1960-1970 accompagnés de percussions traditionnelles comme la puita, le dizanga ou le mukindo. Faire revivre la mémoire des générations précédentes est au cœur de l’album O Pais que Nasceu meu Pai [Le Pays où mon père est né] et du spectacle qu’il propose aujourd’hui. Encore peu connu en France, Paulo Flores, devenu Ambassadeur de Bonne Volonté des Nations-Unies pour l’Angola, reste à ce jour l’un des rares chanteurs à texte qui donne envie de danser.