Reine du kuduro, entre breakdance, semba angolaise et électronique, Pongo, qui a grandi dans les faubourgs lisboètes, projette une féminité africaine conquérante. Ancrée dans le substrat sonore d’une Afrique péri-urbaine, sa musique jouit aujourd’hui d'une légitimité internationale.
Dans une scène du film d’action Kickboxer devenue légendaire, un Jean-Claude Van Damme très éméché entame quelques pas de danse pour le moins saugrenus. Il se déhanche en secouant « durement » les fesses. Au milieu des années 1990, il n’en faut pas plus au chanteur angolais Tony Amado pour lancer la mode du kuduro (littéralement « le cul dur »), équivalent subtropical du break dance et genre musical à part entière conçu à base de syncopes synthétiques ultra rapides et d’éléments traditionnels, tel le semba (à ne pas confondre avec la samba brésilienne). Banni des médias, le kuduro n’est diffusé dans un premier temps que dans les candongueiros (taxis collectifs) et les boîtes de nuit de la capitale angolaise Luanda. Mais à la différence d’autres gimmicks saisonniers qui scandent la vie nocturne d’un continent passablement insomniaque (comme le Guantanamo où l’on danse en faisant semblant d’avoir les mains menottées, ou La Grippe Aviaire où l’on bat frénétiquement des « ailes »), il a perduré, essaimé, muté, prospéré (au point que les soirées kuduro font désormais fureur jusqu’en banlieue parisienne). Et pour finir, il s’est choisi une Reine en la personne de Pongo dont la notoriété dépasse aujourd’hui les frontières à mesure que sa musique transgresse le genre.
Née à Luanda en 1992, Pongo a quitté l’Angola à l’âge de 8 ans, ses parents fuyant l’une des guerres civiles les plus longues et meurtrières de l’histoire du continent (27 ans, 1 million de morts). Elle grandit dans la banlieue de Lisbonne où chaque quartier se forge une identité avec les moyens du bord. Pour l’essentiel, des sons tirés de modules informatiques, des textes exprimant défi, fierté, frustration. C’est de l’une de ces zones grises de la capitale portugaise, le quartier Buraca où réside une importante communauté africaine, qu’en 2005 est fondé le collectif Buraka Som Sistema (BSS). Adoptant les fondamentaux du kuduro, il les confronte à une réalité urbaine et à des références culturelles occidentales. En 2009, le BSS recrute une jeune chanteuse de 16 ans aux états de service paradoxaux. Sa voix puissamment timbrée dans une chorale d’église révèle une autre facette de son talent et de sa personnalité au sein du Denon Squad, comme danseuse puis vocaliste. Son surnom Pongo, elle l’a hérité d’un père souhaitant rendre hommage à la diva congolaise M’Pongo Love qui a tant marqué l’âge d’or de la rumba.
Non seulement Pongo chante, mais elle compose aussi – et sans relâche. Des souvenirs de cette enfance africaine contrariée, elle tire ainsi Kalemba (Wegue Wegue), assurant au Buraka Som Sistema une visibilité (4,5 millions de vues sur YouTube) qui lui échappe encore. Suit une chrysalide victorieuse qui voit subitement la petite sirène des faubourgs lisboètes se changer en altesse afro mutante, cheveux ras blond platine, parures extravagantes digne du film culte Black Panther de Ryan Coogler. Son succès est instantané et s’explique en partie par la facilité avec laquelle sa musique, ancrée dans le substrat des pratiques sonores d’une Afrique péri-urbaine, se croise volontiers avec d’autres genres comme le dancehall jamaïcain ou le grime anglais. Sur Baia (Danse), son premier effort solo paru en 2018 et produit par le Français Raphaël d’Hervez, elle teinte le kuduro de sons exogènes, steel drum ou flûte duduk. Mais ce qui plus encore donne à Pongo la légitimité internationale dont elle jouit aujourd’hui, c’est sans doute cette disposition à projeter une féminité africaine conquérante, dépassant tabous et interdits. Un empowerment auquel contribuent ses « consœurs » Sheebah Karungi de l’Ouganda, Yemi Alade du Nigéria ou Sho Madjozi d’Afrique du Sud, nouvelles icônes d’une pop africaine en plein essor.