Découverte par Count Basie, l’organiste et compositrice américaine a travaillé avec les plus grands, de Ray Charles à Ella Fitzgerald. Elle célèbre l’affirmation des musiciennes dans le jazz, un mouvement dont elle fut l’une des pionnières.
On raconte dans la famille Scott que, le dimanche, une fois rentrée de la messe, sa mère plaçait sur ses genoux devant le piano la petite Rhoda, qui rejouait d’oreille les hymnes et cantiques qu’elle avait entendu interpréter sur l’orgue de l’église au cours de l’office animé par son père. Comme pour nombre de musiciens afro-américains, l’expérience de la musique trouve son origine dans celle de l’église et de la foi. Fille d’un pasteur de l’Église Episcopale Méthodiste Africaine, Rhoda Scott (née en 1938) a d’abord et avant tout découvert sa vocation dans le contexte des cérémonies religieuses ; elle en a gardé une soif de partage et de communion qui ne l’a jamais quittée au fil de sa longue carrière. Si elle s’est naturellement tournée vers le Hammond B-3, cet orgue électrique qui équipait les innombrables chapelles de l’Amérique, c’est que son clavier lui était accessible la plupart du temps dans l’église de quartier où officiait son père et qu’elle pouvait librement y passer des heures à travailler son phrasé et à comprendre l’usage des multiples tirettes qui permettent de façonner le son de l’instrument.
Pourtant, c’est loin des siens et de chez elle que Rhoda Scott a mené sa carrière et s’est imposée comme l’une des spécialistes de l’instrument, dans un registre qui s’est toujours affranchi des frontières pour embrasser l’ensemble des expressions musicales de la culture afro-américaine, du gospel au jazz en passant par la soul et le rhythm’n’blues. Venue en France étudier auprès de Nadia Boulanger après avoir été diplômée de la Manhattan School of Music, elle n’en est jamais véritablement repartie, y ayant rencontré l’amour et le succès. Poussée par Eddie Barclay qui l’avait entendue à New York dans le club de Count Basie qui avait lui-même été séduit par son talent, Rhoda Scott s’est imposée depuis l’Hexagone comme organiste dans le jazz aux côtés d’autres femmes de sa génération, telles que Shirley Scott (1934-2002) ou Trudy Pitts (1932-2010), qui ont probablement trouvé dans cet instrument « autosuffisant » – on peut, comme le fait Rhoda Scott avec brio, jouer les basses simultanément à la mélodie grâce à un second clavier actionné au moyen des pieds – une forme d’indépendance et d’autonomie que d’autres instruments ne leur permettaient pas d’achever dans un environnement très masculin pas toujours enclin à valoriser leur travail.
Créé en 2004 à l’initiative du festival Jazz à Vienne, le Lady Quartet est, depuis plus de quinze ans désormais, la formation principale avec laquelle Rhoda Scott apparaît sur scène. Elle l’a constitué en puisant dans le vivier fécond – quoiqu’encore très étroit – des jazzwomen françaises, réunissant autour d’elle des instrumentistes qui se sont imposées en vingt ans comme des musiciennes de premier plan. « Jouer avec ces jeunes consœurs m’a stimulée et j’ai appris beaucoup d’elles, confiait l’organiste à l’occasion de ses 80 ans au magazine Télérama. Après les concerts, des spectatrices me disent aussi que ça leur fait du bien, et que nous sommes des modèles possibles pour leurs filles. »
Formé à l’origine avec Sophie Alour au saxophone ténor, Airelle Besson à la trompette et Julie Saury à la batterie, le groupe est devenu à partir de 2007 un quartet à deux saxophones avec l’arrivée de Lisa Cat-Berro à la place d’Airelle Besson. Toutes ces musiciennes mènent carrière en leur nom : Sophie Alour, à la tête de projets qui l’ont vu voyager de Broadway à l’Orient ; Lisa Cat-Berro, qui développe en quartet un univers personnel teinté de pop, de folk et de chanson ; Julie Saury, enfant de la balle, fille du clarinettiste Maxime Saury à qui elle a rendu un bel hommage sur disque, qui cultive son swing en trio avec Carine Bonnefoy et Felipe Cabrera comme aux baguettes du Duke Orchestra. À ces trois fidèles partenaires, Rhoda Scott en a associé trois autres, dont la réunion dessine une sorte de « Ladies All-stars » puisqu’y participent des musiciennes là encore très en vue dans le paysage français du jazz : Géraldine Laurent au saxophone alto, Céline Bonacina au baryton et Anne Paceo à la batterie. Cette présence renforcée de saxophones à ses côtés permet à l’organiste de constituer une petite section qui accentue l’énergie funky de son répertoire et souligne par ses riffs la dynamique résolument joyeuse de sa musique.
Girl Talk, disait Neal Hefti ? Girl Power, répond Rhoda !