Apportant un écho moderne aux séances du cinématographe d’antan, durant lesquelles de la musique jouée en direct dans la salle – au piano, le plus souvent – venait accompagner le film projeté sur l’écran, les ciné-concerts, nimbés de l’aura originelle d’un spectacle magique, constituent la forme la plus répandue aujourd’hui des liaisons fructueuses qu’entretiennent la musique live et les arts visuels.
Le premier ciné-concert de la saison (31 octobre) évoque précisément un certain âge d’or du septième art, celui des débuts du parlant, via un classique indémodable du cinéma fantastique, le Dracula (1931) de Tod Browning, avec un Béla Lugosi au mordant impérial dans le rôle-titre – qui va le vampiriser toute sa vie. À la fin des années 1990, Philip Glass a composé une musique originale pour le film (celui-ci étant dépourvu de bande musicale). Gravée sur disque et jouée plusieurs fois en live par le Kronos Quartet, cette musique d’une grande intensité suggestive est transmise ici au piano par Michael Riesman, complice artistique de longue date de Philip Glass.
Dans le cinéma contemporain, la collaboration entre Claire Denis et les Tindersticks – entamée avec le film Nénette et Boni (1996), et toujours en cours – s’apparente à une authentique symbiose artistique, les plages de rock raffiné et capiteux du groupe anglais s’accordant idéalement avec les images de la cinéaste française. Cette entente majeure donne matière à un ciné-concert exceptionnel, dans la Grande salle Pierre Boulez (5 novembre). Les Tindersticks y égrènent un florilège de leurs compositions pour Claire Denis et des extraits de films de celle-ci se mêlent à la musique live.
Réalisé par Michel Ocelot, auteur de la faste saga Kirikou, le long métrage Azur et Asmar (2006) – entièrement en images de synthèse – met en scène un ample récit d’aventure au Moyen Âge, doublé d’une fable sur la tolérance et le dialogue entre les cultures, dans un univers féerique inspiré des contes des Mille et une Nuits. Comptant parmi les fleurons récents du cinéma d’animation, le film gagne encore en relief par le biais d’un ciné-concert inédit (19 au 21 décembre). Belle incarnation du métissage culturel, entre Orient et Occident, la musique originale de Gabriel Yared traverse un riche nuancier chromatique. Elle est interprétée ici par le Yellow Socks Orchestra (ensemble français expert dans l’art du ciné-concert), avec de nouveaux arrangements signés Robin Melchior.
Ayant remporté un triomphe mondial avec la comédie musicale La La Land (2016), Damien Chazelle accorde une place essentielle à la musique dans son univers cinématographique. Centré sur les rapports entre un jeune batteur de jazz et son intransigeant professeur de musique, son deuxième long métrage – Whiplash (2014) – fait claquer une bande musicale rutilante mêlant standards de jazz, dont le « Whiplash » de Hank Levy, et compositions originales de Justin Hurwitz. En interaction constante avec le film, le Multiquarium Big Band – large et intrépide formation conduite par le fameux binôme André Charlier (batterie) et Benoît Sourisse (piano, orgue) – lui confère une amplitude maximale au fil d’un ciné-concert haletant (30 et 31 janvier).
Par ailleurs, de septembre 2023 à février 2024, le cycle thématique consacré aux Ballets russes suscite, hors du format ciné-concert, des croisements très singuliers entre musique et arts visuels. C’est le cas d’abord de la soirée (6 et 7 septembre) durant laquelle l’Orchestre de Paris restitue trois pièces phares de la musique russe du début du XXe siècle – Petrouchka de Stravinski, Concerto pour piano n° 1 de Prokofiev et Les Cloches de Rachmaninoff –, la première étant mise en résonance avec une création vidéo (très) originale du cinéaste Bertrand Mandico, révélé par le film Les Garçons sauvages (2017). En clôture du cycle (28 et 29 février), l’Orchestre de Paris dédie un programme spécial à deux œuvres iconiques de Stravinski, L’Oiseau de feu et Le Sacre du printemps, toutes deux enrichies de vidéos conçues par deux réalisatrices contemporaines. L’Oiseau de feu inspire à Rebecca Zlotowski une rêverie filmique en forme de métaphore sur le cinéma, tandis que Le Sacre du printemps éveille chez Evangelia Kranioti une ode à la nature empreinte d’éco-féminisme.
Enfin, dans Carnets de là-bas (16 avril), Sonia Wieder-Atherton fait revivre ses années d’apprentissage musical, dans les années 1980 au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, en entrelaçant sa voix et son violoncelle avec des images de Clément Cogitore. Conçue en binôme, cette traversée mémorielle génère une création singulière, à forte densité émotionnelle, qui apporte une nouvelle illustration remarquable de la fertilité des rapports entre musique live et arts visuels.