Entre danse aérienne et musique méditative, le chorégraphe Yoann Bourgeois et le compositeur Patrick Watson orchestrent un spectacle pluridisciplinaire où naît une poésie de chaque instant.
Insaisissable électron libre des plateaux contemporains, en gravitation depuis le début des années 2000, le metteur en scène, chorégraphe et performeur Yoann Bourgeois –par ailleurs directeur du CCN2- Centre Chorégraphique National de Grenoble jusqu’à fin décembre 2022– jongle entre les disciplines (cirque, danse, théâtre) avec une agilité décomplexée et développe des spectacles d’une grande tonicité, au mépris joyeux des lois de la pesanteur.
S’il ne la pratique pas lui-même, la musique occupe néanmoins une place essentielle dans son univers artistique, comme en témoigne notamment la relation féconde qu’il développe avec la pianiste Célimène Daudet. Tous deux ont déjà élaboré plusieurs projets ensemble, dont L’Homme est un point perdu entre deux infinis, accueilli en octobre 2021 à la Philharmonie de Paris.
UNE RENCONTRE NOVATRICE
Toujours aussi aérien, Yoann Bourgeois resurgit ici cet automne avec un tout nouveau spectacle, née de la rencontre avec l’auteur-compositeur-interprète canadien Patrick Watson. Ayant également entamé son cheminement créatif au début des années 2000, œuvrant d’abord en solo puis à la tête d’un groupe (qui porte son nom), celui-ci creuse le sillon d’une folk-pop fastueuse, très cinématographique, à laquelle sa voix vibrante, presque androgyne, confère une force de résonance éminemment singulière.
Teintées de musique de cabaret (de la dernière chance) et gorgées d’émotion(s), ses chavirantes chansons à fleur d’âme évoquent pêle-mêle Tom Waits, Jeff Buckley, Sufjan Stevens, Arcade Fire ou encore Anohni. Les albums Close To Paradise (2006), Adventures In Your Own Backyard (2012) Love Songs For Robots (2015) et Wave (2019) apparaissent les plus intenses d’une discographie sans scorie, récemment enrichie du mini-album Better In The Shade (2022).
La rencontre artistique entre les deux hommes s’est initiée dans le cadre d’une nouvelle collaboration entre le Lieu unique, bastion nantais de la création pluridisciplinaire, et le webzine musical La Blogothèque, connu en particulier pour ses vidéos de live dans des endroits insolites. Début 2020, un peu avant le déclenchement de la pandémie de Covid-19, les deux structures ont proposé à Yoann Bourgeois de concevoir une forme scénique hybride, entre concert et spectacle, avec l’artiste musical de son choix. «En haut de ma liste figurait Patrick Watson, un chanteur que j’affectionne et que j’admire depuis très longtemps, confie Yoann Bourgeois. Je suis extrêmement touché par sa musique. D’une grande amplitude, elle me renvoie à des questionnements d’ordre existentiel, plus particulièrement l’album Wave, empreint d’une mélancolie bouleversante. Mon équipe, qui ne partage pas toujours mes goûts musicaux, me rejoint totalement sur cet engouement. J’ai pris contact avec Patrick pour lui présenter le projet et il a tout de suite répondu positivement.»
Leurs premiers échanges, à distance, se sont déroulés avec la pandémie en toile de fond. Faisant naître une profonde inquiétude quant au devenir de l’humanité, ce contexte global a assurément influé –au moins un peu– sur l’œuvre à venir. En tout cas, le travail a été traversé en continu par le désir impérieux d’inventer un autre monde. «L’avenir doit être poétique, déclare Yoann Bourgeois. Tout ne peut pas se réduire à des questions d’ingénierie, de technique. Je crois beaucoup à la puissance de l’art pour réformer les imaginaires et si l’on veut changer le monde, cela commence par là».
MUSIQUE DU CORPS ET DANSE DE L'ÂME
Coproduit par le Lieu Unique, la Blogothèque, le CCN 2 et la Philharmonie de Paris, le spectacle s’intitule simplement Yoann Bourgeois & Patrick Watson– suggérant ainsi à quel point il se fonde sur une rencontre et se situe au croisement de deux univers, intimement liés. Afin de constituer le matériau de départ, chacun a puisé des éléments dans son répertoire respectif. Le processus créatif s’est finalisé durant le printemps 2022, à Nantes, avant les premières représentations au Lieu unique (les 16 et 17 mai), via une résidence de quatre jours.
«Le temps de création étant très court, je tenais à travailler avec des personnes que je connais bien et auxquelles je fais entièrement confiance, qu’il s’agisse de l’équipe technique ou des interprètes, précise Yoann Bourgeois. En amont, j’avais esquissé une trame, imaginé des séquences mais plein de choses sont apparues, se sont révélées dans les interstices, pendant les sessions à Nantes.»
Musicalement, le spectacle se compose de neuf chansons, dont deux écrites pour l’occasion, et de quelques plages instrumentales additionnelles. Mise en mouvement par cinq performeurs et performeuses (dont Yoann Bourgeois), évoluant sur scène aux côtés de Patrick Watson, la partie chorégraphique –souvent acrobatique– fait corps avec la musique, l’accompagne en profondeur. «Notre rencontre s’est vraiment construite autour de la notion d’intensité», souligne Yoann Bourgeois. De fait, durant environ une heure, l’ensemble se déploie suivant une dynamique –réglée au millimètre– de courbes intensives et, sur le plan artistique comme sur le plan émotionnel, invite à une traversée absolument palpitante.