Les thématiques de l’exil, de la séparation et de l’espoir résonnent dans les chansons de Míkis Theodorákis, interprétées par Maria Farantoúri. Dix ans après son concert donné Salle Pleyel, rencontre avec la grande chanteuse et militante politique grecque qui se produit à nouveau en France avec l’Ensemble En Chordais.
Dans quel contexte avez-vous amorcé votre collaboration avec Míkis
Theodorákis ?
J’avais tout juste seize ans quand Míkis Theodorákis m’a entendue interpréter sa chanson Kaïmos lors d’un concert de l’Association des amis de la musique grecque. Il a émis l’idée que je pourrais être la « prêtresse » de ses chants. Après notre première rencontre, il a composé de nombreuses chansons pour ma voix, les quatre premières formant le célèbre cycle La Ballade de Mauthausen basé sur le livre Mauthausen de Iákovos Kambanéllis qui raconte son expérience des camps de concentration. Ces chants expriment la brutalité des nazis, mais aussi l’espérance et la soif de vivre illustrées par l’affection de deux prisonniers, un homme et une femme, qui s’aperçoivent à travers les barbelés. Il a ensuite écrit six autres chansons à mon intention qu’il a intitulées Kyklos Farantouri. Deux ans après, la dictature a été instaurée, Míkis a été arrêté et je suis partie à Paris pour propager son œuvre dans le cadre de la lutte contre la dictature dans le monde.
Quel type de censure s’exerçait sous la dictature des Colonels ?
La censure s’étendait à tout : la presse, la littérature, le théâtre, le cinéma, les chants, jusqu’à la correspondance privée ! Les écrivains et les poètes ne publiaient plus, certains grands journaux avaient fermé, les chants de Míkis étaient interdits et l’on pouvait être arrêté rien qu’en les chantant à la maison. Les théâtres avaient changé de répertoire, les scénarios de film étaient censurés, c’était le règne des ténèbres, le retour au Moyen Âge…
Qu’expriment les textes des chansons que vous interprétez ?
Míkis a mis en musique les poèmes de grands poètes grecs comme les prix Nobel de littérature Séféris et Elytis, Rítsos, Romancero gitano de Federico García Lorca et Canto general de Pablo Neruda. Il a aussi composé sur ses propres textes ou sur des textes de grands paroliers grecs. Ces poèmes et ces textes parlent d’amour, de luttes, des joies et des malheurs du peuple grec, et ont eu un impact incroyable. La musique de Theodorákis était complètement neuve, mais on pouvait y retrouver des traditions grecques plus anciennes : le théâtre antique grec, le melos byzantin, différentes traditions locales à partir du XVe siècle (de Crète, d’Épire ou d’Asie Mineure jusqu’en 1922), le chant laïko du début du XXe siècle – tout cela combiné avec ses études classiques au Conservatoire de Paris.
Míkis Theodorákis et ses chansons sont constitutifs du peuple grec, inséparables de son existence. Chaque fois qu’ils le peuvent, les gens expriment leur attachement à ces chants. Ils sont intemporels et souvent interprétés dans les concerts de « musique artistique ».
Quelle résonance vos chansons ont-elles dans la Grèce contemporaine ?
L’histoire de mon pays est liée à l’exil depuis l’Antiquité. Plus près de nous, Theodorákis a connu plusieurs fois l’exil en Grèce et moi-même, comme Melína Mercoúri, j’ai vécu l’exil dans les années de la junte militaire. Mon ami, le grand compositeur Kyriakos Kalaitzidis, a toujours traité du thème de l’exil, du fait de vivre loin de son lieu de naissance, en s’inspirant aussi du destin d’Ulysse dans l’Antiquité et de celui des exilés et réfugiés de notre temps. Avec son ensemble En Chordais, je vais interpréter des chants de sa composition, comme « L’Étranger », ainsi que certaines chansons emblématiques de Theodorákis : « Romiosini » qui célèbre l’esprit indomptable du peuple grec et le Cantique des Cantiques tiré de La Ballade de Mauthausen.