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Le diptyque versaillais d’Alexandre Tharaud

Publié le 14 octobre 2019 — par Alexandre Tharaud

© Marco Borggreve

En deux récitals, Alexandre Tharaud propose un voyage sonore au sein duquel le Versailles royal se reflète dans les regards des compositeurs du xxe siècle.

— Alexandre Tharaud : Week-end Versailles

Dix-huit ans après votre disque Rameau et quinze ans après le Couperin, vous revenez à la musique baroque française…

Elle ne m’a pas quitté, du moins sur scène. J’avais même en tête de graver une seconde fois les Nouvelles Suites de Rameau. Cependant, l’idée d’un programme plus singulier s’est imposée, un bouquet d’œuvres baroques françaises regroupant divers compositeurs.

Comment le programme s’est-il construit ?

Le choix était immense. Aux côtés de Rameau et Couperin, j’ai retenu des compositeurs peu explorés sur les pianos modernes – certaines pièces ici n’ont jamais été enregistrées sur un autre instrument que le clavecin et l’orgue. Après avoir déchiffré toute leur musique de clavier, j’opérais par filtres successifs, conservant ainsi les pièces dont je me sentais le plus proche.

Parlez-nous des pièces que vous avez choisies et de votre lien avec ces compositeurs…

La Pothouïn fait partie de mes musiques de chevet. L’œuvre de Duphly, tardive, se rapproche du pianoforte et sonne miraculeusement sur un piano d’aujourd’hui. J’aurais aimé lui consacrer un album entier. Peut-être un jour… D’Anglebert, quant à lui, me transporte autant que Rameau. Sa foisonnante ornementation peut sembler moins adaptée au piano, pourtant, Les Folies d’Espagne, ses transcriptions de Lully ou la première de ses fugues pour orgue, nous prouvent le contraire. Jouer Royer électrise, il nous offre de s’amuser, rire avec le clavier, comme Scarlatti à la même époque. Il met en lumière – peut-être plus précisément que les autres – le lien avec les compositeurs français de la fin du XIXe siècle et début XXe. En cela, il se rapproche même étonnement de Chabrier avec La Marche des Scythes. De toute évidence Couperin, que j’avais déjà enregistré, et Rameau, dont j’ai choisi Le Rappel des oiseaux, Tambourin et le Prélude en la, ce dernier ouvrant majestueusement le programme, pareil à une lourde porte découvrant lentement un monde mystérieux.

Pour vous, quelle légitimité à jouer ce répertoire au piano ?

Il s’interprète au piano depuis que l’instrument existe, de Chopin – interprète de Rameau – à la première moitié du XXe siècle. Cet univers sonore a demeuré longtemps, une historicité du piano dans laquelle je me reconnais. Ces compositeurs baroques ont posé les bases de la musique française : impossible d’interpréter Saint-Saëns, Debussy ou Ravel en les dissociant de Couperin et Rameau. Ce dernier a par ailleurs écrit une musique de clavier orchestrale, dépassant le clavecin, qu’il abandonna jeune. Le piano du XXIe siècle est un orchestre en soi, s’approchant ici des vents et des cordes, là du clavecin et de l’orgue (comme dans la fugue de d’Anglebert). Je m’inscris donc aussi dans la tradition des pianistes interprètes de la musique baroque française. Ils sont nombreux dont je me sens proche.

Vous vous situez surtout dans la lignée de Marcelle Meyer. Que vous a-t-elle apporté ?

Dans la lignée de beaucoup de pianistes du passé ! Marcelle Meyer la première. Elle n’a cessé de m’inspirer depuis l’adolescence, je joue d’ailleurs la majorité de son répertoire, qui va de Bach, Scarlatti, Mozart, à Chabrier, Ravel et Milhaud. J’aime son jeu lumineux, libre autant que charpenté, terriblement instinctif. Elle jouait avec l’intensité d’un monde prêt à s’écrouler, éprise d’urgence et d’un désir fou. À chacun de mes enregistrements, je pense à elle, passionnément.

 

Extrait du livret de l’album Versailles (parution le 15 novembre 2019)

Avec l’aimable autorisation d’Erato