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Licht de Stockhausen, de samedi à jeudi

Publié le 06 novembre 2020 — par Jérémie Szpirglas

© Nieto

En 2018, l’Ensemble Le Balcon et son chef Maxime Pascal ont entamé une aventure inédite : monter dans son intégralité le monumental cycle Licht de Karlheinz Stockhausen. Après Samstag (Samedi) et Dienstag (Mardi), Donnerstag (Jeudi) a été présenté à la Philharmonie en novembre 2021.

— Samstag aus Licht : scène 1 (Luzifers-Traum)

 

Amorcé en 1977 et achevé en 2003, Licht (Lumière) est un cycle opératique qui échappe à tous les qualificatifs : au fil de ces sept opéras, dont la durée totale est de 29 heures, Karlheinz Stockhausen façonne un univers dans lequel il rejoue le grand combat du Bien contre le Mal. Chaque partie du cycle est dédiée à un jour de la semaine, auquel correspondent une planète et les divers attributs issus de sa mythologie. Monter le cycle dans son intégralité n’a toutefois jamais été accompli dans le cadre d’une même production – pas même par Stockhausen lui-même, puisque deux journées ont été créées de manière posthume, sous la houlette de sa Fondation.

C’est donc le pari fou que relèvent l’Ensemble Le Balcon et son chef Maxime Pascal depuis trois ans. Un pari qui remonte à la naissance du Balcon : tirant son nom d’une pièce de Jean Genet, l’ensemble se considère dès ses débuts comme un collectif pluridisciplinaire. Or il est difficile de faire plus pluridisciplinaire que Licht : chacun des trois personnages du cycle est triplement incarné par un musicien, un danseur et un chanteur. Dans la partition, tout est consigné : mise en scène, chorégraphie et costumes sont notés avec autant de précision que les parties instrumentales.

« Cette triple incarnation génère immédiatement une logique chambriste, unique dans un contexte opératique, remarque Maxime Pascal. Le trio danseur/voix/instrument devient un groupe de musique de chambre, avec tous les mécanismes internes que cette logique suppose. Les trois artistes doivent travailler ensemble pour élaborer le personnage. Quand ils y sont prêts, ils réagissent comme s'ils n'étaient qu'un. »

— Maxime Pascal • sur Licht de Stockhausen

 

Si le décor, tout comme le dispositif narratif, peut paraître intimiste, l’ambition de l’ouvrage est véritablement démiurgique, Stockhausen comparant la composition à la création d’un univers. « J’y vois davantage la vision d’un enfant jouant avec ses jouets, seul dans sa chambre, nuance Maxime Pascal : il imagine son monde peuplé de petites créatures qu’il agence à sa guise. Il affirme lui-même que ce qu’il cherche dans Licht, c’est justement ce désir enfantin de se prendre pour Dieu. Selon moi, ses élucubrations cosmiques et mystiques n’ont rien d’un délire mégalomane, ce sont bien plus une réponse à la violence du (des) trauma(s) qu’il a subi(s) enfant (la mort du père, de la mère, les horreurs de la guerre). La question de l’enfance est primordiale pour comprendre la musique de Stockhausen : sa naïveté doit être interprétée comme étant positive. »

Ainsi Stockhausen traite-t-il de manière bien personnelle le duel qui, dans Dienstag, oppose Lucifer et l’archange Michael – dont la figure consiste en une projection du compositeur lui-même.

— Stockhausen : Donnerstag aus Licht (extrait 1) • Le Balcon

On remarquera toutefois que l’ordre adopté par le Balcon pour la présentation du cycle ne suit pas celui des jours de la semaine. Maxime Pascal y a préféré un ordre lié aux relations entre les différents personnages du cycle. C’est ainsi que Donnerstag nous fait rencontrer le personnage de Michael. Composé entre 1978 et 1980, l’ouvrage retrace la jeunesse et les voyages du héros et se termine par son retour au ciel. On y devine également, en filigrane, la genèse même du cycle opératique, ainsi que ses racines profondément autobiographiques.

— Samstag aus Licht : scène 4 (Luzifers-Abschied)
Jérémie Szpirglas
Écrivain, Jérémie Szpirglas publie fictions et textes de référence sur la musique contemporaine et sur l’œuvre de Serge Gainsbourg.