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Esa-Pekka Salonen : « La radicalité est périssable »

Publié le 13 septembre 2022 — par Vincent Agrech et Rémy Louis

— Esa-Pekka Salonen - © Patrick Swirc

Figure phare de l’Orchestre de Paris depuis trois décennies, le directeur musical du San Francisco Symphony éclaire les défis que doit relever le monde musical d’aujourd’hui.

— Esa-Pekka Salonen dirige Sibelius avec l'Orchestre de Paris

 

Trente-cinq ans qu’un jeune chef finlandais à peine trentenaire se présentait pour la première fois devant  l’Orchestre de Paris, dans un programme consacré à Grieg et Nielsen. La silhouette juvénile a étrangement peu changé ; l’énergie tellurique, mais canalisée au millimètre, est toujours la même. Le Maestro est entre temps devenu l’un des plus recherchés au monde. En 1989, le Los Angeles Philharmonic le nommait directeur musical. Un poste qu’il occupera vingt ans, hissant l’orchestre au niveau des Big Five américains, et inaugurant le Walt Disney Concert Hall. Chef principal du Philharmonia Orchestra de Londres de 2008 à 2021, il a renoué en 2020 avec la Californie, succédant à Michael Tilson Thomas comme directeur musical du San Francisco Symphony. Un riche partenariat se profile avec la Philharmonie, comme avec l’Orchestre de Paris, dont Esa-Pekka Salonen est devenu, au fil des ans, le chef invité privilégié. En 2006, un Oiseau de feu de Stravinski insensé marquait à jamais la mémoire des musiciens et du public, dans l’acoustique pourtant rude du Théâtre Mogador. En 2013, c’était l’ouragan Elektra, dans la mise en scène testamentaire de Patrice Chéreau à Aix-en-Provence. Depuis 2015 et l’ouverture de la Philharmonie, les soirées d’anthologie se succèdent (encore un sidérant Château de Barbe-Bleue de Bartók en décembre dernier). Après avoir ramené l’Orchestre à Aix pour la Symphonie n° 2 « Résurrection » de Mahler, dans la mise en scène de Romeo Castellucci, et y avoir donné en concert la Turangalîla de Messiaen, reprise à la Philharmonie de Paris les 14 et 15 septembre prochains, Salonen créera, les 25 et 26 janvier, son Concerto pour orgue. Car s’il a toujours défendu les œuvres nouvelles avec la même flamme que les classiques du XXe siècle, il trouve également le temps pour la composition – qu’il étudia, adolescent, à l’Académie Sibelius de Helsinki, avant de croiser presque par hasard la route de Jorma Panula, professeur de légende qui sera aussi quarante ans plus tard celui de Klaus Mäkelä…

 

Comment définiriez-vous votre longue relation avec l’Orchestre de Paris ? Comment l’avez-vous vu évoluer en termes de culture du son, de technique, d’état d’esprit ?

Esa-Pekka Salonen : C’est surtout depuis vingt ans que je dirige régulièrement l’Orchestre, ce qui coïncide avec le premier mandat de Christoph Eschenbach comme directeur musical. Selon moi, il y eut à ce moment un tournant, non parce que le chef avait décrété qu’il voulait porter la formation au plus haut niveau mondial, mais parce qu’il a demandé aux musiciens si eux voulaient le faire, catalysant une volonté qui était celle de la nouvelle génération, et leur indiquant les moyens d’atteindre un tel objectif. Il y a toujours eu ce mythe autour des orchestres français, où les instrumentistes, bien qu’excellents, passeraient leur temps à parler, refuseraient de collaborer et bloqueraient le travail pendant des heures pour discuter des coups d’archet… Je ne sais pas à quel point cela se fondait sur une réalité, mais j’ai vu, entre mes premières venues et le début des années 2000, la mentalité du collectif évoluer vers cette exigence de discipline et de concentration, ainsi que vers davantage de curiosité et d’ouverture d’esprit. L’autre événement charnière fut bien évidemment l’ouverture de la Philharmonie.

À Los Angeles, vous aviez inauguré le Walt Disney Concert Hall, considéré comme l'une des meilleures salles de concert récentes au monde. La Philharmonie de Paris vous paraît-elle s’inscrire dans cette catégorie ?

E.P.S. : Pleinement, comme dans celle de la Philharmonie de Berlin pour les époques précédentes. Chaque acoustique a ses spécificités, mais le niveau de qualité est le même. La particularité de Paris est l’extrême sensibilité au placement des instruments sur le plateau. Vous bougez la disposition de deux mètres, la balance est totalement différente. Le rendu sonore est également d’une transparence extrême. Impossible de se cacher derrière la résonance d’ensemble, comme au Concertgebouw d’Amsterdam. Les voix intermédiaires restent toujours audibles, le moindre défaut d’ensemble ou de précision dans les attaques le sera également. Les pianissimi peuvent aller jusqu’à l’infinitésimal en conservant leur éloquence. Tout cela conduit l’Orchestre vers toujours plus d’attention et d’engagement, car si aucun défaut n’est pardonné, chaque réussite est appréciée à son juste prix.

Pour vous, qui connaissez toutes les grandes salles parisiennes, la Philharmonie comble-t-elle un vide ?

E.P.S. : Je garde beaucoup de tendresse pour l’acoustique du Châtelet, évidemment très différente, mais d’une grande richesse quand l’orchestre est en fosse. Mon meilleur souvenir là-bas est sans doute cette représentation du Rake’s Progress de Stravinski, avec le Los Angeles Philharmonic, dans la mise en scène de Peter Sellars, à laquelle Pierre Boulez était venu assister. À la fin, il me glisse : « Vous m’avez presque convaincu de l’intérêt de cette œuvre. » Je lui réponds : « Presque ? » Et lui, malicieusement : « N’oubliez pas que ma génération est supposée la détester ! » La Philharmonie permet évidemment des configurations très différentes pour l’orchestre, et son caractère modulable doit certainement être davantage exploré dans les prochaines saisons, tant pour la spatialisation des effectifs que pour les formats de concert.

Propos recueillis par Vincent Agrech & Rémy Louis.

Lire l'entretien complet dans le magazine Notations

Vincent Agrech
Vincent Agrech est journaliste (rédacteur associé du mensuel Diapason, rédacteur en chef de Notations, le magazine de l'Orchestre de Paris), essayiste (plusieurs ouvrages parus chez Stock et Humensis), conseiller du Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) et producteur.

 

Rémy Louis