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Esa-Pekka Salonen : « La radicalité est périssable »

Publié le 11 janvier 2024 — par Vincent Agrech et Rémy Louis

— Esa-Pekka Salonen - © Patrick Swirc

Figure phare de l’Orchestre de Paris depuis trois décennies, le directeur musical du San Francisco Symphony éclaire les défis que doit relever le monde musical d’aujourd’hui.
— Esa-Pekka Salonen dirige Sibelius avec l'Orchestre de Paris

Trente-cinq ans qu’un jeune chef finlandais à peine trentenaire se présentait pour la première fois devant  l’Orchestre de Paris, dans un programme consacré à Grieg et Nielsen. La silhouette juvénile a étrangement peu changé ; l’énergie tellurique, mais canalisée au millimètre, est toujours la même.

Comment définiriez-vous votre longue relation avec l’Orchestre de Paris ? Comment l’avez-vous vu évoluer en termes de culture du son, de technique, d’état d’esprit ?

Esa-Pekka Salonen

C’est surtout depuis vingt ans que je dirige régulièrement l’Orchestre, ce qui coïncide avec le premier mandat de Christoph Eschenbach comme directeur musical. Selon moi, il y eut à ce moment un tournant, non parce que le chef avait décrété qu’il voulait porter la formation au plus haut niveau mondial, mais parce qu’il a demandé aux musiciens si eux voulaient le faire, catalysant une volonté qui était celle de la nouvelle génération, et leur indiquant les moyens d’atteindre un tel objectif. Il y a toujours eu ce mythe autour des orchestres français, où les instrumentistes, bien qu’excellents, passeraient leur temps à parler, refuseraient de collaborer et bloqueraient le travail pendant des heures pour discuter des coups d’archet… Je ne sais pas à quel point cela se fondait sur une réalité, mais j’ai vu, entre mes premières venues et le début des années 2000, la mentalité du collectif évoluer vers cette exigence de discipline et de concentration, ainsi que vers davantage de curiosité et d’ouverture d’esprit. L’autre événement charnière fut bien évidemment l’ouverture de la Philharmonie.

Y a-t-il un moment avec l’Orchestre dont vous vous souveniez comme absolument privilégié, un tournant dans l’aventure commune ?

C’est plutôt une suite de souvenirs heureux. La meilleure part étant que cette complicité continue de se développer. Une des musiciennes m’a fait remarquer, en mai dernier, qu’elle me trouvait extrêmement détendu. Je me suis d’abord demandé comment je devais le prendre, mais elle m’a rassuré, en me disant que je plaisantais particulièrement avec eux, et que tout le monde avait l’impression que je m’autorisais davantage à être moi-même. Au-delà de son caractère agréable, cette remarque recèle un sens artistique évident. Mieux vous connaissez les musiciens, moins vous vous souciez de la façon dont vous serez perçu, et quand on atteint une telle connivence, le travail devient beaucoup plus satisfaisant. J’anticipe les réactions et façons de faire de chacun, je sais qu’untel prendra un temps particulier dans tel genre de phrase, j’y suis intuitivement préparé. C’est l’aspect vraiment fascinant de la direction d’orchestre : quand on va au-delà de la mécanique pour lire dans les pensées les uns des autres.

Pour vous, qui connaissez toutes les grandes salles parisiennes, la Philharmonie comble-t-elle un vide ?

Je garde beaucoup de tendresse pour l’acoustique du Châtelet, évidemment très différente, mais d’une grande richesse quand l’orchestre est en fosse. Mon meilleur souvenir là-bas est sans doute cette représentation du Rake’s Progress de Stravinski, avec le Los Angeles Philharmonic, dans la mise en scène de Peter Sellars, à laquelle Pierre Boulez était venu assister. À la fin, il me glisse : « Vous m’avez presque convaincu de l’intérêt de cette œuvre. » Je lui réponds : « Presque ? » Et lui, malicieusement : « N’oubliez pas que ma génération est supposée la détester ! » La Philharmonie permet évidemment des configurations très différentes pour l’orchestre, et son caractère modulable doit certainement être davantage exploré dans les prochaines saisons, tant pour la spatialisation des effectifs que pour les formats de concert.

Lire l'entretien complet dans le magazine Notations

Vincent Agrech
Vincent Agrech est journaliste (rédacteur associé du mensuel Diapason, rédacteur en chef de Notations, le magazine de l'Orchestre de Paris), essayiste (plusieurs ouvrages parus chez Stock et Humensis), conseiller du Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) et producteur.

 

Rémy Louis
Propos recueillis par Vincent Agrech & Rémy Louis.