John Seabrook rend visite à ces hommes qui font la pluie et le beau temps des charts, et écrit ce faisant l’histoire d’une forme musicale devenue langage universel. Extrait.
Les années 1980 furent une période bénie pour l’industrie du disque. Le marasme post-disco avait pris fin et l’« industrie » musicale moderne était sur le point d’exploser. En 1983, lors de la convention de l’industrie du disque à Miami, le président de PolyGram, Jan Timmer, présente ce qu’il espère voir devenir le nouveau format privilégié pour vendre de la musique enregistrée : le compact disc. La musique allait dès lors prendre la forme de lignes numériques composées de 0 et de 1, encodées sur un disque de plastique spécialement traité. L’industrie du disque prendra comme motif l’allure high-tech du CD pour faire passer le prix d’un album de 8,98 $ à 15,98 $ (même si les CD deviendront rapidement moins chers à produire que les disques vinyles), et les maisons de disques ne se priveront pas de la plus-value ainsi générée. Elles persuaderont même les artistes de ne pas augmenter le niveau de leurs royalties, prétextant que les gains supplémentaires serviront au marketing, afin de faire adopter ce nouveau format par les acheteurs.
Malgré un prix qui a quasiment doublé, les CD rencontrent auprès des consommateurs un immense succès. Les fans qui possèdent déjà les albums en vinyle les remplacent docilement. Dès le début des années 1990, les albums à succès en CD se vendent beaucoup mieux que les succès en vinyle ne l’ont jamais fait. Ce nouveau support permet aussi une manière ingénieuse de repackager le catalogue des labels, riche de toutes ces références épuisées en vinyle. Avec l’avènement du CD prolifère toute une génération de cadres de maisons de disques dont l’unique talent consiste à établir des compilations de musique déjà existante plutôt qu’à découvrir de nouveaux artistes. Traversant sans heurts le krach boursier de 1987 et la récession du début des années 1990, son marché connaît une croissance constante.
Cependant, ces petits disques de plastique, qui ont tant enrichi les labels, vont aussi précipiter leur chute. Comme les chansons numérisées doivent être compatibles avec les lecteurs de CD mais aussi avec les ordinateurs (les CD vont bientôt remplacer les disquettes comme format de stockage standard), elles ne sont pas protégées contre la copie. On peut en « ripper » les chansons et les « graver » sur des CD vierges avec de simples ordinateurs domestiques. Certes, les compilations maison sur CD ne menacent pas plus l’industrie du disque que les cassettes maison ne l’avaient fait. Mais quand il devient possible de compresser les fichiers numériques des chansons en de plus petits paquets d’octets, connus sous le nom de MP3, pour les partager sur Internet, l’industrie voit se profiler son extinction.