Lorsque le guitariste Daniel Casares interprète des moments de la vie de Picasso, cela donne Picassares. Le spectacle bénéficie d’une collaboration spéciale de la danseuse Ana Morales.
Pablo Picasso et Daniel Casares ne se sont jamais rencontrés. Le lien entre le maître du cubisme et le guitariste flamenco s’est pourtant établi à jamais grâce à l’hommage du second au premier, sous la forme d’un album paru en 2015, Picassares, magnifiquement prolongé du spectacle homonyme auquel participe la danseuse Ana Morales. La vie et l’œuvre du peintre y soudent les fondations d’une envoûtante création interdisciplinaire.
C’est à Malaga que Picasso et Casares sont nés à quatre-vingt-dix-neuf ans d’intervalle, le guitariste voyant le jour en 1980. Si le peintre quitta l’Andalousie pour une vie de multiples séjours à Barcelone, à Madrid et en France, sa ville natale restera ancrée dans son cœur. En 2003, elle accueillit le musée créé à son intention. De son côté, Casares lui restera plus fidèle, lui qui fit ses études au Conservatoire supérieur de la ville après avoir commencé sa carrière dès ses 11 ans, âge où sa technique et son assurance impressionnent dans le milieu très exigeant du flamenco. À 16 ans, il devient le plus jeune musicien à recevoir la plus prestigieuse distinction du genre. Ce n’est que le début d’une belle collection de récompenses, qui ne l’empêche toutefois pas de continuer à se former. Il apprend ainsi à déchiffrer et écrire une partition, une capacité encore peu courante chez un musicien flamenco. Attaché à sa région et imprégné de sa culture, il n’en est pas moins ouvert à d’autres musiques, du classique à la pop. Loin d’elle, il n’a jamais coupé les ponts avec l’Andalousie et lui en a même bâti de nouveaux. À New York et au Brésil où il a vécu, ses goûts et, par ricochets, son style, se sont frottés à une heureuse dérive des continents. Ce parcours unique en a fait l’un des plus grands guitaristes au monde, dont le jeu lui a valu une impressionnante liste de collaborations, y compris hors de ses frontières et de celles du jazz, parmi lesquelles Cecilia Bartoli, Loreena McKennitt, Toquinho, Dulce Pontes, Alejandro Sanz, Chucho Valdés ou Miguel Poveda. Il fut aussi l’un des derniers à accompagner le chanteur Juanito Valderrama, légende du flamenco sévillan.
Sous son propre pavillon, Daniel Casares a forgé sa réussite tout au long d’une carrière élevée au niveau international. Si son flamenco rayonne aux quatre coins du monde, pour des concerts donnés au Bangladesh, au Cap Vert, aux États-Unis ou au Vietnam, entre autres, son appropriation n’a en rien dénaturé l’esprit originel. Dès son premier disque solo en 1999, il a démontré son talent de compositeur autant que sa capacité à emprunter des chemins de traverse. Il a multiplié les collaborations avec ses pairs, tout en s’autorisant à élargir le spectre de son inspiration. C’est ainsi qu’en 2014 il enregistrait sa version du célèbre Concierto de Aranjuez, sommet de la guitare classique qui en avait vu d’autres en termes de reprises, de Miles Davis au Modern Jazz Quartet en passant par… Paco de Lucia côté flamenco. Sur le même album, il livrait sa première composition symphonique, dédiée à sa fille.
Mais chez lui, personne n’ochiccupe une place telle que le géniteur de Guernica. « C’est peut-être grâce à Picasso que j’ai découvert mon côté le plus flamenco », affirme ainsi Casares. Dans l’album Picassares, il retrace des moments marquants de la vie du peintre, depuis sa naissance dans le titre d’ouverture, « Malaga », à sa mort dans « Paris ». Sa virtuosité alliée à son ouverture d’esprit lui permet de jouer des variations stylistiques du flamenco (buleria, tango, malagueña, garrotin, alegria, fandango…) et de ses genres limitrophes pour adapter sa palette sonore à différents moments de la trajectoire du peintre. Il entre ainsi très explicitement dans son œuvre à travers « Minotauro » où l’énergie de l’animal se voit rythmiquement transposée en fandango. Plus festif, accompagné de claquement de mains, le buleria correspond pour sa part au mouvement du cheval dans « Caballo de Guernica ». Un tempo plus doux de chanson évoque notre capitale dans « Paris », tandis qu’une rumba réchauffe le titre « Calle Avignon » et que les « Tangos de la Paz » embarquent pour l’Amérique du Sud.
Si Casares se produit majoritairement seul sur son album grâce à son jeu de guitare phénoménal, il s’est adjoint, pour la scène, les services d’un violoniste, d’un percussionniste et de deux musiciens qui se partagent guitare, chœurs et jeux de mains. À ce groupe, Ana Morales offre un magnifique contrepoint visuel tout aussi bouillonnant. Bien que née à Barcelone en 1982, la danseuse revendique l’héritage andalou de ses parents. À 16 ans, elle décrochait une bourse qui lui permettait de suivre des cours de flamenco à la Compagnie andalouse de danse de Séville. Sa carrière professionnelle démarrait en 2000 lors d’un spectacle à la Biennale de Séville, avant d’enchaîner les projets dans des festivals et même au cinéma, comme dans le film Iberia de Carlos Saura (2005). Dès 2010, elle monte ses propres spectacles et finit par créer sa compagnie de danse. Et s’offre en 2017 un spectacle qui décrit ses quinze années de travail dans le monde de la danse flamenco. Comme Daniel Casares, elle a toujours l’Andalousie dans le sang. Le même qui coula quatre-vingt-onze ans durant dans les veines du maître Picasso.