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Studio 19 : ouvrir les horizons par la création collective

Publié le 22 novembre 2023 — par Claire Boisteau

— Résidence artistique Studio 19 à la Philharmonie de Paris - © Hugues Anhès / Neutral Grey / Saif images

Ils ont entre 16 et 25 ans, et habitent le 19e arrondissement de Paris ou la ville de Grigny. Ils ont rejoint le projet Studio 19 pour vivre pendant une année une aventure collective unique à la Philharmonie de Paris. En témoigne leur spectacle, présenté le 1er décembre prochain au Studio.

Un projet de proximité et d’accompagnement

Programme ambitieux, constructif et éprouvé avec succès depuis sept ans, Studio 19 compte, aux côtés de Démos, parmi les propositions musicales de la Philharmonie de Paris à forte valeur sociale ajoutée. Le projet trouve son amorce dans le plan «Sortir du cadre», initié en 2016 par la préfecture d’Île-de-France soucieuse de développer des pôles d’art et de vie sur des territoires qui n’en sont pas naturellement familiers. Pensé en direction des habitants de quartiers prioritaires de la Politique de la Ville et en compagnonnage avec des établissements publics à vocation culturelle existants, le dispositif s’adresse tout particulièrement aux jeunes et jeunes adultes engagés dans une démarche d’insertion sociale ou professionnelle.

Dès la première année, la Philharmonie de Paris se jumelle avec le 19e arrondissement de Paris, avant d’étendre son regard vers la commune de Grigny, dans l’Essonne, en 2022. En étroite collaboration avec les relais éducatifs et sociaux implantés dans les quartiers concernés, l’établissement parisien développe Studio 19, proposition annuelle de création collective d’un spectacle, encadrée par une équipe pluridisciplinaire et augmentée d’un accès personnalisé à son offre culturelle et à la découverte de ses métiers. Ce studio aux murs extensibles s’envisage dès sa genèse comme un lieu de proximité et d’accompagnement, une scène d’épanouissement de voix individuelles et collectives, un champ de possibles susceptible d’infléchir les parcours de vie.

— Résidence artistique Studio 19 à la Philharmonie de Paris - © Hugues Anhès / Neutral Grey / Saif images

Des ateliers artistiques pluridisciplinaires

Celles et ceux qui ne connaissaient de la Philharmonie que le nom y accèdent désormais par l’entrée des artistes, celle qui mène directement à la scène. Le 1er décembre, le spectacle de l’édition 2023 rassemblera Aïssatou, Aminullah, Anthony, Arnaud, Atchi, Azel, Elif, Fatou, Irmak, Isabelle et Isabelle, Johann, Jordan, Keana, Keerthi, Keylia, Lara, Malick, Mohammed, Pédro, Sadio, Théo et Tigui– un groupe d’une vingtaine de Parisiens et Grignois âgés de 16 à 25 ans, étoffé de quelques aînés des éditions précédentes.

Un quintet d’artistes pédagogues, soudé par le goût de la transmission et des convictions communes, a vu éclore, au fil des mois, les singularités et le visage du collectif: Martin Grandperret, directeur artistique et chorégraphe, Lamine Sow, coordinateur à Grigny et musicien intervenant sur les traditions d’Afrique de l’Ouest et les percussions classiques, Julien Barret, intervenant en art oratoire, Thierry Fournié, musicien intervenant pour la création sonore en studio, et Merle-Anne Prins-Jorge, musicienne intervenante pour la voix, épaulés du technicien son Christophe Philippe. «Nous sommes des médiateurs, défend Merle-Anne, qui éveillons la curiosité des jeunes, les aidons à réparer des choses pour certains, les invitons à rencontrer les autres.» «Toute la matière du spectacle vient des jeunes, ajoute Martin. Notre rôle consiste à les écouter et à accompagner leur cheminement pour aboutir à une création collective.»

Parce qu’elle n’oublie jamais d’associer plaisir et exigence, cette relation nourrit réciproquement intervenants et participants. Et séduit autant que la pluridisciplinarité. «Pouvoir expérimenter toutes sortes d’instruments, mais aussi l’écriture, le chant et la danse a quelque chose de fascinant», confie Isabelle, jeune Grignoise arrivée en septembre sur les conseils de la Mission locale. Quelque chose de grisant, même: pas question de s’arrêter durant la pause qui suspend la répétition, l’impatience et le plaisir de jouer sont irrépressibles. Au xylophone, au djembé ou au synthétiseur, la majorité des jeunes continue à tester des timbres et des rythmes, violon avec ou sans archet, guitare et piano en selfie.

— Résidence artistique Studio 19 à la Philharmonie de Paris - © Hugues Anhès / Neutral Grey / Saif images

Consolider l’expression et la prise de parole

«Studio 19, explique Thierry, provoque des rencontres entre les jeunes, et entre nos univers artistiques et les leurs. De là naît une musique unique et inclassable. Nous formons un groupe qui crée son propre langage, spécifique, qui n’appartient qu’à lui et lui ressemble. Sans chercher à reproduire quoi que ce soit.» Cette année, l’arrivée de Julien dans l’équipe place la création de texte à égalité avec celle portée par les instruments, la voix et le corps– volonté affichée d’aider à vaincre les timidités, à assumer sa voix et à consolider sa prise de parole en public. «S’exprimer devant les autres n’est pas toujours facile, plus encore face à une salle de deux cents personnes, souligne Martin. Savoir le faire apporte une vraie confiance en soi, sans compter l’accélération de la maîtrise de la langue chez les primo-arrivants.»

Une balade urbaine et poétique inscrite dans la forme du cabaret

Une phase d’exploration en ateliers –découverte instrumentale, apprivoisement du corps, pratique vocale et écriture– a ouvert l’année et précédé une résidence au Centre culturel de rencontre de l’abbaye de Noirlac, au printemps dernier. Les groupes de Paris et de Grigny, en immersion pendant cinq jours, s’y sont rencontrés pour partager leurs premières idées. Un souvenir incroyable pour Johann, 19 ans: «J’étais dans une sorte de bulle qui m’a totalement extrait de ma vie quotidienne.»

Après la résidence, les ateliers hebdomadaires prennent une autre tournure, articulant création et improvisation, et conduisent à l’automne à l’émergence des grandes lignes du spectacle: il prendra la forme, immédiatement proche de la restitution des différents ateliers, d’un cabaret à numéros, et déroulera la thématique des transports en commun, familière à chacune et chacun. Des poèmes écrits collectivement jalonneront cette grande balade urbaine dans Paris rythmée par les aléas du métro et du RER. «Il y aura du mystère, de la poésie, de la nourriture, un éléphant rouge, une pluie tropicale, des papillons catastrophiques, de l’amour aussi», préviennent les deux «présentatrices» Aïssatou et Sadio. «Ce cabaret est fait d’accidents, de retards, d’absences– en lien direct avec ce que nous avons vécu ensemble cette année, précise Martin. Ce sont des éclats artistiques avec différents contenus, comme une succession d’œuvres très courtes.» Le plus difficile fut en effet de jongler avec les présences et les absences de ces jeunes adultes aux prises avec un quotidien sans complaisance. La flexibilité s’est rapidement imposée comme condition essentielle à l’élaboration du spectacle, avec des rôles et des parties musicales ou poétiques interchangeables.

— Résidence artistique Studio 19 au Centre culturel de rencontre de l’Abbaye de Noirlac - © Bernard Poisson

La dynamique du spectacle n’en est pas altérée, bien au contraire: elle envoûte, crée une belle solidarité, inspire des gestes sonores ou dansés qui prennent sens dans l’élan collectif de la création. Les langues et les corps se délient, les timbres explosent, les contrepoints se chevauchent. Côté instruments, les percussions sont les favorites –djembé, cajón, grosse caisse, batterie, marimba et xylophone–, mais on entendra aussi violoncelle, violon, guitare sèche, flûte et bande enregistrée.

Un spectacle de création unique

Le spectacle de Studio 19 version 2023 témoignera d’une création à l’image de celles et ceux qui y auront contribué. Comment le qualifier d’un mot? «Apesanteur», suggère Johann. Parce que sur scène, il se sent vraiment libre, plus rien ne le retient, pas même le regard du public. «Fascinant», renchérit Pédro, 20 ans. Parce que le bonheur du travail en équipe et la confiance en soi qu’il a acquis ici resteront en lui toute sa vie. «Rêve, avance Isabelle, parce qu’être sur scène à la Philharmonie, ce n’est pas rien. On en profite à fond parce qu’on sait que le rêve ne va pas durer et qu’on va se réveiller.» Pour le prolonger, la jeune femme de bientôt 18 ans envisage de continuer la pratique artistique. Studio 19 a littéralement bouleversé sa vie: alors qu’elle cherchait sa voie à tâtons en tant que comédienne après des années de «scolarité désastreuse», elle y a fait des rencontres qui lui ont déjà ouvert des portes dans le milieu professionnel du son.

À Johann, le mot de la fin: «Dans ce groupe, chacun a son bagage, son vécu, parfois assez compliqué. Alors que j’avais tendance à ne m’occuper que de moi, j’ai vu combien j’aimais écouter la vie des autres. C’est une vraie découverte: le monde est grand, et Studio 19 ouvre les horizons.»


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Claire Boisteau

Claire Boisteau partage son activité entre écriture et édition, et collabore avec salles de concert, festivals, artistes et orchestres, labels discographiques, maisons d’opéra et musées.