Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Saison 4 - Épisode 3 : Lubaki et le tambour à fente

Publié le 18 octobre 2023 — par Christian Makouaya

Gugu, gulu, Igogo, mukônzi, lokolé… il y a plusieurs noms en Afrique pour désigner le tambour à fente ou tambour de bois.

Conte-moi la musique est une série de podcasts pour les 3-8 ans.

Avec Conte-moi la musique, retrouvez des histoires fabuleuses, drôles et poétiques, imaginées à partir des instruments du Musée de la musique.

Écoutez ce podcast sur Apple Podcasts, Deezer, Google Podcasts ou Spotify.


Uniquement constitué de bois, le tambour à fente est un instrument de musique taillé dans une section de tronc d’arbre qui est évidée au travers d’une fente. On le joue avec deux baguettes. Certains l’appellent aussi tambour parleur. Car pour les langues à tons, c’est-à-dire celles où un seul mot peut signifier plusieurs choses selon comment on le prononce, le tambour à fente peut imiter le langage humain. Par exemple, en kikôngo :
— Kala = le charbon
— Kala = refuser
— Kâla = le criquet
— Kâla = revenir

Alors, on s’en sert parfois pour faire passer les messages, d’autant plus qu’il a un son qui porte beaucoup plus loin que la voix humaine.

Il y a très longtemps, à Mpila, un petit village niché au cœur d’une grande forêt, vivait un jeune bûcheron appelé Lubaki. Il était fort, travailleur et toujours prêt à aider les autres. Lubaki avait comme passion la musique. C’était un excellent joueur de m’kônzi ; les tambours à fente. Il les fabriquait lui-même en sélectionnant les meilleurs bois de la forêt. On racontait d’ailleurs que chez lui, il en avait de toutes les formes et de toutes les tailles. Le soir après le travail, Lubaki avait l’habitude de jouer de son m’kônzi pour tout le village. Ses magnifiques mélodies résonnaient et se faisaient entendre jusque dans les villages très éloignés, au-delà des montagnes et des collines.

Le temps passant, à force de jouer de son instrument, notre jeune bûcheron découvrit que le m’kônzi pouvait imiter les mots de la langue qu’on parlait dans sa région. Car c’était une langue chantante où les mots étaient prononçés avec une certaine musicalité :
Wa dia fua, yika dio, lorsqu’on reçoit un héritage, il faut le fructifier.

Très fier, il montra sa découverte à tout le monde. C’était bientôt devenu la distraction du soir pour tous les habitants de Mpila. Lubaki s’amusait alors à faire deviner les mots, les phrases et ensuite des histoires entières à ceux qui venaient l’écouter jouer. Les cultivateurs, les chasseurs, les pêcheurs et même le vieux guérisseur du village se pressaient tous de retrouver Lubaki le soir au coucher du soleil pour se livrer à leur jeu favori : deviner les messages du m’kônzi, le tambour parleur.

Mais un bon matin, fatigué par le pénible travail d’énormes fagots de bois qu’il avait transportés la veille, Lubaki se leva plus tard que d’habitude. Tous les hommes et toutes les femmes valides venaient déjà de partir du village pour aller vaquer à leurs occupations habituelles. Il n’y restait plus que les enfants et les personnes âgées. C’est alors que Lubaki entendit des cris de détresse venir de la case du vieux chef du village. Sa petite-fille venait d’être mordue par un mbâkoko, le cobra noir ; un serpent dangereux. Le redoutable venin de ce maudit serpent était réputé pour agir rapidement. Seul le guérisseur du village avait le remède pour la sauver. Mais ce dernier se trouvait déjà loin du village. Courir pour aller le chercher sans savoir les chemins qu’il avait empruntés aurait pris trop de temps. Il fallait simplement l’appeler pour qu’il rebrousse chemin et revienne vite secourir la pauvre fille. Alors, tout le monde se mit à crier le nom du guérisseur. Mais, hélas, aucune voix ne pouvait être entendue de loin par le guérisseur.

Heureusement, Lubaki eut une idée géniale. Il alla vite sur la petite colline à l’entrée du village et se mit aussitôt à jouer de son tambour à fente. Comme pendant les soirées musicales, il fit parler son m’kônzi en jouant une phrase qui disait :
Kâla kâla ngânga ! Reviens vite, reviens vite, guérisseur !

Le guérisseur entendit les sons du m’kônzi. Habitué à écouter Lubaki le soir, il comprit le message et revint vite au village. Il arriva juste à temps pour sauver la pauvre fille.

La musique du tambour parleur venait de sauver la petite-fille du chef. Comme une traînée de poudre, la nouvelle se répandit dans toute la région. Chaque village voulait maintenant avoir son tambour parleur. Les soirées musicales de Lubaki attiraient désormais des curieux qui venaient d’un peu partout. C’est ainsi que de village en village, on se mit à utiliser de plus en plus le m’kônzi pour passer les messages. D’ailleurs, encore de nos jours, dans certains villages en Afrique, il n’est pas rare d’entendre au loin des m’kônzi annoncer des cérémonies de mariage et bien d’autres genres d’événements.

Christian Makouaya
  • Conte écrit et raconté par Christian Makouaya
  • Amour Makouaya : tambour à fente m’kônzi
  • Christian Makouaya : congas, maracas
  • Musique : Ebalé Nzéla, Kitoko d’Amour et Christian Makouaya