Je me demande souvent ce que je serais devenue. A mon avis, pas grand-chose. J'avais quand même des parents sidérants de beauté. Mon père était résistant, un commandant de la Royal navy. Ma mère était une beauté de son époque, elle était connue pour l'être. Quand je me présentais comme « la fille de Judy Campbell », les gens répondaient : « Ah bon ? Vous ne lui ressemblez pas, vous n'avez pas la même.. la même.. ». Alors ils cherchaient leurs mots, je répondais « classe ? ». Je me sentais très banale par rapport à ma mère. Je ne suis pas sûre que j'aurais eu le courage d'oser « boxer » dans sa catégorie et de me lancer dans le théâtre. Je n'aurais pas osé.. Et puis le cinéma. J'avais demandé à Carol Reed s'il pensait que j’avais une chance dans le cinéma. Il a répondu : « Ça dépend si les caméras tombent amoureuses de vous ». Peut-être que j'aurais été photographiée. Je l'ai été dans Blow-Up par David Bailey. Je ne sais pas combien de photos il y a eu.
Donc oui, j'étais mignonne, mais.. pour quoi faire ? Je m’amuse souvent à imaginer la situation où John Barry ne serait pas parti. J'aurais toujours été là en train de couler son bain, de réchauffer sa soupe de tortue, de feuilleter les journaux. Lorsque je lis mes journaux intimes, je me dit : « Mon Dieu, heureusement qu'il est parti ! ». Son départ m'a donné un peu de peps face à l'urgence de gagner de l'argent pour ma fille Kate, parce qu'il s'est quand même barré sans rien laisser ! Et puis, moi, aller pour une audition en France, et en français.. pour Pierre Grimblat qui m'a vue à Londres, parmi toutes les filles de la jet-set du Swinging London. Et Pierre m'a repérée, il m'a trouvé singulière et m'a emmenée à Paris. Il m’a proposé de faire un test devant Gainsbourg. Pierre a cru en moi, en mon humour particulier, je ne sais pas, ça a littéralement changé ma vie. Et puis les Français. Le fait d'avoir été acceptée dans ce pays dans lequel je ne parlais pas un mot. J’ai été très attendrie par cet accueil chaleureux, et puis, surtout, je me sentais libre. En effet, en Angleterre j'étais sous la coupe de mes parents. A l’époque, mon frère était déjà le premier assistant de Stanley Kubrick. Donc ma famille ne tombait pas non plus de haut de nous voir dans le cinéma. J’étais avec des personnes tellement remarquables. Ça faisait chic de me trouver en France parlant une langue qu’ils ne connaissent pas, ils ne pouvaient pas me corriger.
J’étais loin de maman et de ces remarques. En France, j’étais libre et j’ai embarqué très banalement tout ce qui appartenait à la mode anglaise de l'époque : des minijupes, mon panier, ma façon d'être, mes cheveux, ma frange, tout ça. Pour les Français, c'était original. Mais voilà, il y a peut-être des gens destinés à avoir leur carrière ailleurs que chez eux. La France est un étrange pays pour ce phénomène. Parce que, quand même !.. Il y avait aussi Claudia Cardinale, Romy Schneider, Petula Clark.. Ce n'est pas en Angleterre que l'on trouve les étrangères en numéro un du cœur. C'est quelque-chose d'étonnant. Alors qu’est-ce que j’aurais fait en Angleterre ? Quelques télés ?.. Je ne sais pas…
Charles Gainsbourg était inspiré par la musique classique parce que son père en jouait tous les jours, cela faisait partie de son éducation. En fait, il avait de la modestie lorsqu’il écrivait un texte pour les gens qu'il adorait : Bardot, Charlotte, Bambou, moi. Parfois, il accompagnait ces textes sur une musique classique, parce qu'il trouvait que c'était le plus beau. Moi, j'ai eu Chopin dès le départ avec « Jane B. », « Baby Alone in Babylon » sur du Brahms, Charlotte dans « Lemon Incest », « Initials B. B. »... Enfin, on a toutes eu des mélodies classiques quand Serge voulait donner le plus beau.
Pour lui, les vrais « sérieux » étaient les écrivains ou les poètes : Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire. Et puis, il y avait les grands compositeurs sur sa table basse. Il avait les mains de Chopin. Il ne se considérait pas dans le même registre. Il savait qu'il était très talentueux, probablement le plus talentueux, à graver des textes de chansons et de mélodies. Mais les personnes qu'il admirait véritablement, c’étaient ces personnes.
Serge avait vraiment une connaissance extraordinaire de la musique, de la poésie, de la peinture. Il était quand même aux Beaux-arts. Toute cette culture produit un personnage qui avait une très haute estime pour la beauté des choses. Il n'a jamais essayé de rendre plus simple ses textes pour les gens qui, peut-être, n’avaient pas les mêmes références que lui. Il ne se souciait pas de ça. Il utilisait cette culture parce qu'il l’aimait. « Je suis venu te dire que je m'en vais », comme dirait si bien Verlaine. Peu importe si les jeunes connaissaient ou pas Verlaine, Serge utilisait les personnes qui l’inspirait personnellement. C’est pour cette raison que son écriture est sympathique. On n’a jamais l'impression qu’il faisait des choses juste pour le succès.. En fait, si. Il a écrit « Sea, Sex and Sun » pour que ça marche. Et puis il se faisait marrer et, ça, c'est extraordinaire d'avoir une personne avec autant de talent, d'humour, de faire des « PV booms ». Toutes ces chansons rigolotes comme tout. Je crois qu'il n'y a pas un personnage comme lui. Il le savait. Je pense qu’il y avait des gens qui vendaient beaucoup, comme Gérard Lenorman, et il y avait lui qui était, peut-être, plus raffiné parfois, avec les textes qui trouveront le public tôt ou tard.