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Diabolus in musica. À la gloire du Diable

Publié le 03 avril 2024 — par Angèle Leroy

— Hieronymus Bosch : Le Jardin des délices (troisième panneau) - © Bridgeman Images

L’association entre musique et puissances maléfiques a traversé les siècles, depuis le Moyen Âge jusqu’à la scène metal. Tour d’horizon des avatars diaboliques en musique.  

 

Séductions musicales… 

Toute une partie de la population vivant au Moyen Âge, dans le sillage de divers saints et prélats quelque peu rabat-joie, se méfie de la musique et de sa puissance sensuelle. Les fidèles sont ainsi mis en garde contre le recours aux instruments ou les chants « trop » beaux. Quelques siècles plus tard, il flotte comme une odeur de soufre autour des instrumentistes « trop » doués : les violonistes Tartini (auteur d’une fameuse sonate écrite sous la dictée diabolique, Les Trilles du Diable) et Paganini, les pianistes virtuoses comme Liszt, mais aussi d’autres musiciens comme le bluesman Robert Johnson auraient passé un pacte avec le Diable en échange de leur virtuosité.

— Giuseppe Tartini, Sonate pour violon en sol mineur « Les Trilles du Diable »
— Robert Johnson, Hellhound on my Trail

... ou cacophonie diabolique ?

Difficile cependant pour les époques, pour les penseurs et pour les artistes de se décider sur la nature de la musique du Diable. Elle est à la fois ce qui ravit les âmes et caresse les oreilles mais aussi un épouvantable concert, puisque le Diable est omni voce dissonus, omni symphoniae contrarius (en désaccord avec toute voix et toute harmonie), selon le théologien des XIe-XIIe siècles Rupert von Deutz. Au XVIIe siècle, le compositeur et théoricien Michael Praetorius entend dans la musique diabolique « des hennissements et des aboiements, des miaulements et des glapissements, avec des claquements de dents, [une] triste musique épouvantable des cris douloureux du chœur incandescent de l’Enfer » (Polyhymnia Caduceatrix).

Danses macabres et rondes obscènes

Au XVe siècle, dans une Europe traumatisée par les guerres et les épidémies, apparaît toute une imagerie liée à la danse macabre, dont la musique fera elle aussi son miel : Liszt, Saint-Saëns ou encore le metal (l’album La Grande Danse macabre du groupe Marduk ou le titre « Dance Macabre » de Cradle of Filth en 2002 par exemple).
Le sabbat, réunion de sorcières (essentiellement) dans une parodie de service religieux, nourrit également l’imaginaire des artistes : Goya, Hugo, Goethe et tant d’autres. Du côté des compositeurs et des musiciens on retrouve Berlioz, Moussorgski (Une nuit sur le mont Chauve a particulièrement inspiré ses successeurs, depuis la version de Stokowski interprétée dans Fantasia jusqu’au black metal de Marduk avec « Glorification of the Black God » ou de Dimmu Borgir avec « Master of Disharmony »), ou encore Black Sabbath, qui donne en 1970 avec son album éponyme le coup d’envoi de ce qui deviendra la musique metal. 

Clameurs, cris et dissonances : l’évocation de la musique de l’enfer est effectivement pain bénit – si l’on ose l’expression – pour les musiciens de la scène hard rock/heavy metal des années 1970 et leurs successeurs. La thématique traverse tous les sous-genres, mais elle est particulièrement chez elle dans le black metal – un courant aux penchants satanistes particulièrement marqués.

— Berlioz, Symphonie fantastique, cinquième mouvement, Songe d’une nuit de sabbat
— Black Sabbath, « Black Sabbath »

Triton maléfique

Si les langages et les instrumentations évoluent, un motif traverse les époques lorsqu’il s’agit d’évoquer le Diable : l’intervalle de triton (quarte augmentée), surnommé le Diabolus in musica à partir du XVIIIe siècle. La légende aime à raconter qu’il était interdit au Moyen Âge, ce qui est faux – mais il était en revanche clairement déconseillé, en raison de son instabilité, et la plupart des compositeurs l’évitaient. De cet accord multivoque, on a retenu la fonction de « brouillage » des repères tonaux et de tension : l’idée est d’incommoder l’auditeur. Les compositeurs ne s’en sont pas privés, loin de là. Le triton évoque Judas dans la Passion selon saint Jean de Bach, il se faufile chez Mozart (Don Giovanni), il s’installe carrément chez Liszt, il prend ses aises chez Berlioz, il danse chez Saint-Saëns ou Stravinski (Histoire du soldat)… En bref, il est présent dans une myriade d’œuvres musicales et notamment dans la plupart de celles qui ont été évoquées en ces lignes ! La musique populaire en raffole, de Jimi Hendrix au metal, peut-être le genre où on le trouve le plus, précisément pour son effet dissonant.

— Guillaume de Machaut, Amours me fait desirer
— Carlo Gesualdo, Sesto libro de Madrigali – Moro, lasso, al mio duolo
— Metallica, « Enter Sandman »
Angèle Leroy

Musicologue, formée à l’université Paris-Sorbonne et au Conservatoire de Paris, Angèle Leroy écrit notes de programmes, articles et analyses musicales pour diverses institutions françaises et étrangères.