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Une histoire de l'art au prisme des pochettes de disques

Publié le 09 avril 2024 — par Milan Garcin

— Thomas Cole, Le Voyage de la vie : la vieillesse (1842) - © Munson-Williams Proctor Arts Institute, Dist.GrandPalaisRmn / image Munson-Williams Proctor Arts Institute

Nombreuses sont les pochettes d’albums de metal reprenant des peintures classiques. Les enjeux de ces réappropriations sont divers. Néanmoins, si l’on entre en détail dans la nature de ces œuvres réemployées, une typologie iconographique se dégage. Extrait de l'article de Milan Garcin, co-commissaire de l'exposition Metal.

Diableries et meMEnto mori

Dans l’histoire de l’art, la première figure de référence pour le metal est Jérôme Bosch. L’usage du panneau droit du Jardin des Délices par Deep Purple ou Celtic Frost, mais également d’autres œuvres un temps attribuées au maître flamand, comme La Vision de Tondale utilisée par Virulence (groupe de hardcore qui donnera plus tard naissance au groupe de stoner Fu Manchu) pour son premier et seul album If This Isn’t a Dream (1989), montre combien les visions infernales marquent les différents genres. Dans le death metal, l’emploi de tableaux anciens liés à l’apocalypse est certes plus fréquent : Deicide utilise pour Till Death Do Us Part (2008) une huile sur panneau de Hans Baldung Grien, La Mort et la Femme, qui relève d’une représentation claire du memento mori, où les enjeux symboliques de la mort annoncés en couverture se poursuivent tout au long des titres de l’album. Le groupe de Tampa n’est pas le premier, dans le death, à faire appel à ce type iconographique : Cianide, pour The Dying Truth (1992), est l’un des premiers à faire référence à l’art classique pour évoquer ce thème, en utilisant la partie inférieure du panneau droit du Diptyque de la Crucifixion et du Jugement dernier de Jan van Eyck, par exemple.

D’autres groupes suivent la même dynamique, cherchant plus encore à montrer la mort qui frappe les vivants sans fantasme de l’au-delà, tout en gardant un lien fort au religieux. C’est le cas de Count Raven avec Storm Warning (1990) et Destruction of the Void (1992) qui ont pour image les deux tableaux d’une même commande, In Ictu Oculi et l’énigmatique Finis Gloriae Mundi de Juan de Valdés Leal, peints dans le contexte de la Contre-Réforme. Cette deuxième œuvre est aussi la pochette de l’album d’Encoffination, O’Hell, Shine in Thy Whited Sepulchres (2011) ; la circulation des mêmes images est manifeste.

L’usage de l’iconographie du memento mori relève d’enjeux analogues à l’usage d’images infernales : chez Cianide encore, on retrouve un extrait des Très Riches Heures du duc de Berry représentant l’enfer pour A Descent into Hell (1994). La plus intéressante représentation des enfers est sans doute celle de Monsù Desiderio utilisée pour une cassette, Fears (1994), par le groupe polonais Necrophobic, puis par les Français de Blut aus Nord pour Memoria Vetusta I - Fathers of the Icy Age (1996) et enfin par un groupe mineur, les Américains d’Olyphant, pour son troisième album, en 2020. Une même image est diffusée encore et encore grâce au tape trading, où la musique, alors underground, circule à travers l’échange de cassettes par correspondance.

Images fétiches

Le meilleur exemple de ce phénomène viral est l’utilisation massive du Cimetière de monastère sous la neige de Caspar David Friedrich dans plus de soixante cassettes de black metal, notamment en Norvège, entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000. Ici, la recherche iconographique relève d’une esthétique DIY, où l’on photocopie l’œuvre – sans d’ailleurs s’embarrasser des droits. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a une différence de traitement entre la prise de son et la prise d’image, généralement lo-fi toutes deux. Par ailleurs, certains artistes sont les vecteurs de ces passions systématiques pour une œuvre ou un artiste en particulier : c’est le cas de Burzum et des deux albums déterminants de l’histoire du black metal, Hvis lyset tar oss (1994) et Filosofem (1996), reprenant tous deux des œuvres de l’illustrateur norvégien Theodor Kittelsen, et marquant le début d’un usage massif de ce dernier dans ce genre en particulier.

Sublime et visions épiques

Les représentations de la mort – celle de Gustave Doré par exemple, illustrant la pochette du réenregistrement de Wrath of the Tyrant d’Emperor (1998) – suivent, elles, un double but : la question du memento mori est évidemment présente, mais elles en sont une représentation épique. La figure chevaleresque – fantasmée – est empruntée à de nombreux artistes : de Dürer et ses visions fantastiques par les pionniers du black metal polonais Holy Death et leur The Knight, Death and the Devil (2005) avec Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513), au XIXe siècle, lui aussi fasciné par ces figures, comme John Collier et son interprétation du célèbre épisode de la vie de Lady Godiva, repris par Heaven Shall Burn pour Veto (2013). Ces représentations sur un mode épique d’épisodes mythologiques, religieux ou historiques accompagnent des compositions sonores aux dynamiques analogues : mode mineur, montées et syncopes sont omniprésentes – sans compter les textes des chansons, relatant eux-mêmes ces épisodes.

— Gustave Doré, La Mort sur son cheval pâle, 1865

Ce mode épique s’accompagne de représentations du sublime, notion chère à Kant qui émerge notamment à la période romantique et qui désigne la beauté du déchaînement des éléments naturels ou des catastrophes, et son appréciation irrationnelle par le spectateur. Les images d’une mise en scène d’un espace naturel, vaste et majestueux, et son aura mystique, sont massivement employées. C’est le choix fait par Candlemass pour trois de ses albums, Nightfall (1987), Ancient Dreams (1988) et Tales of Creation (1989), reprenant respectivement deux tableaux de Thomas Cole et une gravure de Doré montrant la création de la lumière.

— Candlemass, Night Fall, 1987 - © Axis Records
— Emperor, Wrath of the Tyrant, 1998 - © Wild Rag

 


Catalogue de l'exposition Metal - Diabolus in musica, Milan Garcin & Corentin Charbonnier (dir.), Paris, Éditions de la Philharmonie/Gründ, coll. « Musée de la musique », 2024.

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Milan Garcin

Co-commissaire de l'exposition Metal – Diabolus in musica