La série Le Laboratoire de la création analyse les œuvres marquantes qui ont forgé la modernité, de l’après-guerre à la période contemporaine. Elle nous fait pénétrer dans l’atelier du compositeur.
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THIERRY ESCAICH, L'HOMME QUI JOUAIT DU CHORAL
Rosny-sous-Bois, début des années 1970. Au pied du sapin de Noël de la famille Escaich, le jeune Thierry ouvre un cadeau. C’est une grosse boîte, qui semble être une malle aux trésors… C’est en fait, un accordéon, le piano à bretelles, le premier amour de Thierry Escaich. D’abord un jouet, puis un instrument sérieux. Il découvre la musique grâce à l’accordéon. Il travaille ardemment, adopte même une certaine virtuosité, va jusqu’à passer des concours internationaux. Mais le souffle venteux de l’accordéon sera surtout une porte d’entrée vers celui qui est – toujours aujourd’hui – son « véritable » instrument : l’harmonium, puis l’orgue, qu’il pratique dès l’enfance. Cela le prend très tôt, à tel point qu’au début, il ne joue de l’orgue que sur le manuel, les claviers… puisqu’il est trop petit pour atteindre les pédales.
À l’orgue, qu’est-ce que l’on peut jouer ? Un choral de Bach ? Pourquoi pas ! C’est une sorte de base, de terreau, on y reviendra, mais on peut aussi improviser. L’improvisation, c’est le langage naturel de Thierry Escaich, et cela tombe bien, car improviser c’est vraiment une tradition pour les organistes. Pour accompagner les offices, mais aussi pour le concert. Il y a un souffle dans les improvisations de Thierry Escaich, une veine épique, sans doute l’influence du cinéma, un art qu’il aime tant. Il apprécie d’ailleurs régulièrement accompagner musicalement des séances de cinéma muet, comme de petits opéras sans parole !
Ce petit geste musical, cette sorte de danse balkanique, est très spécifique à la musique d’Escaich… et ça n’évoquerait pas un peu Bartók ? Thierry Escaich connaît son Bartók par cœur, et spécifiquement la Sonate pour deux pianos et percussion. Il saura s’en souvenir, autant dans ses improvisations, que dans ses compositions. Langage rythmique fiévreux, mais aussi couleurs ! C’est là où le métier d’organiste d’Escaich va se révéler important. On perçoit dans sa musique des influences de Messiaen par exemple.
Ou bien du chant grégorien ! Au même titre que les chorals de Bach, Escaich aime intégrer des fragments de chants grégoriens dans ses œuvres. Pour mieux les détruire de l’intérieur. Mais comme tout bon organiste, le mélange des timbres amène rapidement Escaich à penser à l’orchestre et à ses fusions. Le Maître ? Ravel, bien sûr, dont il intègre les orchestrations à la fois tranchées et miroitantes. Justement, prenons la direction de l’orchestre.
À ceux qui souhaiteraient une introduction express à la musique et au style de Thierry Escaich, on pourrait conseiller l’écoute de sa pièce pour orgue et orchestre La Barque solaire. Inspirée par le Livre des morts des Anciens Égyptiens, La Barque solaire est sans doute l’une des œuvres les plus impressionnantes de Thierry Escaich. Son langage y est puissant et fiévreux. Des paradis de luxuriance orchestrale, mais aussi un grand mélange d’influences. On reconnait d’ailleurs par-ci, par-là des bribes de chant grégorien.
À propos d’influence du passé et de citation, cette petite mélodie ne vous dit rien ? Mais oui ! Le choral Nun komm, der Heiden Heiland de Johann Sebastian Bach ! Escaich le réinvente et le fait flamboyer dans une courte pièce pour violon, Nun komm. Écoutez d’abord cet extrait d’une répétition. Escaich dialogue avec le violoniste David Grimal. Attention, c’est assez fiévreux !