Le compositeur a conçu une création inédite à partir des sons concrets de la forêt qui dialogue avec les clichés de Sebastião Salgado.
Extrait sonore
Entretien
Comment avez-vous conçu la bande-son destinée à accompagner l’exposition Amazônia ?
Je souhaitais d’abord éviter l’approche ethnomusicologique ou la musique d’ambiance. J’ai donc établi une sorte de boîte à outils contenant des éléments musicaux – orchestraux ou électroniques – destinés à recréer ou évoquer le timbre de sons naturels, auxquels s’ajoutent des sons issus de l’environnement, et enfin des sources ethniques (voix, chants, instruments) issues du fonds d’archives sonores du Musée d’Ethnographie de Genève (MEG) avec lequel j’ai beaucoup échangé au début du projet. J’ai approché l’Amazonie avec respect, mais d’une manière poétique, impressionniste. J’ai choisi les éléments vocaux et sonores dans leur dimension évocatrice, plutôt que d’essayer d’être fidèle à tel groupe ethnique. Il me semblait intéressant de fantasmer la forêt. Elle charrie un puissant imaginaire ; tant pour les Occidentaux que pour les Amérindiens. Cette musique évoque aussi une forme de nomadisme, comme si les sons apparaissaient et disparaissaient au fil d’une transhumance. Il fallait reprendre des principes d’orchestration des sons de la nature, travailler à partir de sons qui se succèdent de façon aléatoire, mais qui peuvent composer une harmonie ou une dissonance. Et comme dans toute symphonie, l’œuvre possède ses moments de clarté ou de tensions.
Comment cette création sera-t-elle diffusée ?
Compte tenu de la scénographie de l’exposition, qui contient des espaces clos, une sonorisation multicanal spatialisée n’aurait pu fonctionner. Nous avons opté pour une stéréo classique en nous efforçant d’atteindre une qualité de restitution de l’œuvre à bas niveau. Nous avons aussi apporté une grande attention aux basses fréquences, qui sont plus importantes que l’on ne l’imagine dans un paysage forestier. Elles seront diffusées à l’aide de haut-parleurs répartis dans l’espace.
Quelles sont les œuvres qui vous ont marqué dans ce processus de transcription de la nature ?
La Symphonie « Pastorale » de Beethoven, l’impressionnisme de Debussy, certaines musiques africaines aussi, qui peuvent utiliser des instruments qui imitent le son de la nature. Il ne faut pas oublier qu’une grande partie des premiers instruments ont été conçus pour imiter les sons de l’environnement. Et puis, de manière générale, les musiques électroniques et instrumentales souvent descriptives, qui suscitent l’imaginaire.
Les artistes occidentaux amenés à s’intéresser à des cultures qui leur sont étrangères essuient parfois des critiques dénonçant certains processus de « réappropriation culturelle ». Comment défendez-vous votre approche ?
Il ne faut pas avoir peur de traiter certains sujets. C’est une manière comme une autre de rendre hommage à l’Amazonie. Il est important d’en parler, les visiteurs doivent prendre conscience de la forêt, de ses habitants et des menaces auxquelles ils sont confrontés. Il est aussi important qu’une critique puisse faire valoir ses arguments. Comme tout point de vue, cette œuvre photographique est discutable. Arrêtons de penser qu’il y a des choses auxquelles les artistes ne peuvent pas toucher. Du moment où l’on aborde un domaine avec respect, sans exploitation cynique, on ne peut condamner une démarche artistique.
Enfin, je crois que le regard de l’autre est important. Il faut établir des liens, faire face au regard de l’autre, et ce regard est aussi important pour les indigènes de l’Amazonie que pour nous.
Propos recueillis par Jean-Yves Leloup