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Salgado Amazônia #4 - Portraits d’Indiens Korubo, Asháninka, Macuxi et Yanomami

Publié le 22 juin 2021 — par Philharmonie de Paris

— Txitxopi dans un campement de chasse. Territoire indigène Korubo de la vallée de Javari. État d’Amazonas, 2017. - © Sebastião Salgado

Dans cette série de podcasts, Sebastião Salgado nous transporte au cœur de la forêt brésilienne et fait entendre, de l'intérieur, les voix de l'Amazonie. Le photographe partage ses souvenirs, anecdotes et expériences, fruits de sept ans de voyage et de rencontres avec les communautés indiennes. 

— Portraits d’Indiens Korubo, Asháninka et Macuxi

Korubo

Les Korubo sont aussi célèbres que redoutés, tant par les autres peuples autochtones de la vallée du Javari que par les Blancs : dans les années 1970, lorsque des agents du gouvernement brésilien ont commencé à prospecter dans la région, la violence de leurs réactions aux invasions de leur territoire a rapidement attiré l'attention. Leur peau est toujours peinte en rouge avec une substance obtenue à partir des graines de rocou. Les Korubo sont un peuple des hauts plateaux, loin des rivières peuplées de moustiques. Lorsqu'ils s'approchent des rivages, ils se protègent des piqûres d'insectes en recouvrant leur peau d'argile. En les voyant ainsi, leurs voisins les Matis les ont appelés « Koru-bo », « peuple couvert d'argile ». Avant d'entrer en contact avec d'autres cultures, ils n'utilisaient ni arcs ni flèches, pourtant d'utilisation courante chez les autres peuples. Ils chassent les petits animaux avec des sarbacanes, qu'ils manient avec une grande précision, et les plus grosses proies à la lance et à la massue.

Les Korubo ont vécu isolés jusqu'au milieu des années 1990, lorsque l'un de leurs groupes, sévèrement touché par le paludisme, a cherché de l'aide en dehors de la communauté. Aujourd'hui, les Korubo sont environ 120 et vivent dans deux villages sur les rives de l'Itui, dans le Territoire indigène de la vallée du Javari, dans l'Ouest de l'État d'Amazonas, près de la frontière avec le Pérou. Au moins un autre groupe vit encore dans la forêt, sans contact avec le reste du monde. Entrant dans la catégorie des « Indiens nouvellement contactés », c'est-à-dire ayant peu de relations avec les Blancs, les Korubo vivent selon leurs codes traditionnels et peu d'entre eux parlent le portugais. Encore très fragiles face aux maladies, ils évitent la présence des Blancs au sein de leur communauté. En octobre 2017, ils ont pour la première fois accepté que séjourne auprès d'eux l'équipe de Sebastiao Salgado.

0:09  :  Pinu Vakwë (gauche) - contacté en 2014 et Xuxu (droite) - contacté en 2015. Territoire indigène Korubo de la vallée de Javari. État d’Amazonas, 2017.

 Asháninka

Les Ashaninka sont l'un des groupes autochtones ayant la plus longue histoire connue : sont attestées des traces de leurs relations économiques et culturelles avec l'Empire inca remontant aux XVe et XVIe siècles. Le lien des Ashaninka avec les Incas est si ancien et si profond qu'il apparaît dans les mythes sur la création du monde et des humains, comme si les deux peuples étaient nés l'un de l'autre. Voici l'un de ces mythes, raconté par le chaman Moisés Piyako :

« Un jour, il y a très longtemps, il y avait une communauté Ashaninka et au centre de celle-ci il y avait un étang. Venu de l'intérieur de l'étang, ils entendaient le chant d'une poule. Un jour, quelqu'un a pris un hameçon pour pêcher. Avec chaque appât qu'il utilisait, il attrapait quelque chose: des poules et d'autres animaux qui n'existaient pas. Parfois, il pêchait un Inca. C'est pourquoi les Incas ont d'abord vécu avec les Ashaninka. Mais un jour, ils s'en allèrent vivre plus loin et c'est ainsi que le peuple inca a vu le jour. Lorsque mon peuple avait besoin de quelque chose, il le cherchait dans les cités des Incas. Et ce dont les Incas avaient besoin, ils l'achetaient aux Ashaninka. Les Incas ne savaient pas marcher dans la forêt, ils n'y descendaient pas, et restaient sur la montagne. »

1:14  :  Le chaman Moisés Piyãko Asháninka. Territoire Indigène Kampa du rio Amônia. État d’Acre, 2016.

Macuxi

La terre des Macuxi est l'un des plus anciens ternto1res indiens reconnus au Brésil, Sa démarcation a commencé en 1919. Ce territoire a fait l'objet d'une expropriation progressive tout au long du XXe siècle : éleveurs de bétail et riziculteurs ont d'abord sollicité des prêts de terres, puis procédé à des prises de possession par la force, pour finalement expulser les Indiens.

À la fin des années 1970, les Indiens avaient perdu la propriété de leurs terres au profit d'éleveurs qui refusaient de reconnaître leur droit historique. Les Indiens vivaient rassemblés dans des villages, sous la menace constante d'hommes armés à la botte des propriétaires des fermes. C'est un long mouvement commencé en 1980, appelé « Ou Vai ou Racha » (« ça passe ou ça casse »), qui a initié la mobilisation des Indiens et exigé la reconnaissance de leur droit à la terre. Émergent alors la volonté et le projet de retrouver l'identité culturelle propre des Macuxi, en particulier leur langue et leur fierté. On trouve parmi les jeunes leaders de l'époque de nombreux enseignants qui ont œuvré à outiller la nouvelle génération afin de lui permettre de reconquérir son droit à la terre. Ces photographies illustrent ce moment, au début du mouvement de récupération du territoire. Ce mouvement a trouvé son issue avec la reconnaissance du Territoire indigène Raposa-Serra do Sol et son homologation par l'administration féderale, en 2005, suivie de la confirmation de cette décision par le Tribunal suprême fédéral en 2009.

2:12 : Adriele da Silva André Macuxi. Maturacá. Territoire indigène de Raposa-Serra do Sol. État de Roraima, 1998.

2:57 : Vue aérienne de la région. Au premier plan : cascade de l’Onça sur la rivière Maú. En haut de la photo, à l’arrière-plan : deux grands tepuis. Le mont Roraima et le mont Kukenán. Territoire indigène Macuxi de Raposa-Serra do Sol. État de Roraima, 2018.

Yanomami 

Les Yanomami sont le plus grand peuple indien quasi-isolé au monde : ils sont environ 40 000 personnes, dont 28 000 au Brésil et les autres au Venezuela. 

C'est à partir de la seconde moitié du xxe siècle qu'ils ont été davantage exposés à la présence de représentants non-Indiens : missionnaires religieux, explorateurs, agents de l'État brésilien chargés de marquer les frontières. À partir des années 1970, sous l'influence de l'idéologie développementaliste dominante, la dictature militaire brésilienne (1964-1985) décide de faire passer plusieurs routes par leurs terres. Vulnérables aux maladies des Blancs, les Indiens sont alors victimes de vagues successives d'épidémies de grippe, de paludisme, de rougeole et de maladies sexuellement transmissibles. Dans les années 1980, ce sont des dizaines de milliers d'orpailleurs illégaux qui envahissent la région, avec le consentement tacite des agences fédérales de protection des peuples autochtones. Ces chercheurs d'or détruisent des villages entiers et répandent à leur tour de nouvelles maladies. En quelques années à peine, 15 % de la population Yanomami disparaît. Entre 1990 et 1992, les orpailleurs sont finalement expulsés par le gouvernement fédéral, qui reconnaît comme Territoire indigène les quelque 9,6 millions d'hectares identifiés comme terres des Yanomami par les études anthropologiques.

Le chamanisme est un élément fondamental de la culture des Yanomami. Leur principal leader est le chaman Davi Kopenawa, pionnier de la campagne pour la création du Territoire indigène Yanomami, à partir de la fin des années 1970. Lors de la crise de 1 'invasion des orpailleurs, en 1988, il a remporté un prix du Programme des Nations unies pour l'environnement. Plus récemment, au milieu d'une nouvelle vague d'invasions, il a reçu le Right Livelihood Award, communément appelé « prix Nobel alternatif ».

3:42 : Des habitants de Watoriki - une communauté de la région de la rivière Demini, fondée par le leader Davi Kopenawa Yanomami - passent devant le grand fromager (Ceiba pentandra). Territoire indigène Yanomami. État d’Amazonas, 2014.

Photographies © Sebastião Salgado

Création sonore © Jean-Michel Jarre