Dans le cadre de l’exposition Salgado Amazônia, le photographe brésilien et la cheffe Simone Menezes unissent leurs talents lors du concert Forêt d’Amazonie. Simone Menezes évoque lors de cet entretien l’un des chefs-d’œuvre de Villa-Lobos, A Floresta do Amazonas.
Comment est né le projet d’associer la musique d’Heitor Villa-Lobos aux photographies de Sebastião Salgado ? Quelle relation entretiennent ces deux modes artistiques ?
Floresta do Amazonas, de Villa-Lobos, est une œuvre qui me fascine depuis longtemps. La Philharmonie a pu réaliser ce vieux rêve de la présenter en concert en l'intégrant au week-end dédié à la forêt amazonienne autour de l'exposition de Sebastião Salgado. À cette occasion est née l'idée de construire ce concert ensemble, en insérant des images dans chaque phrase musicale de cette partition.
J’ai étudié la partition complète de ce poème symphonique de Villa-Lobos afin d’en sélectionner quelques mouvements, puis j’ai construit une suite de 45 minutes pour grand orchestre dans laquelle se succèdent plusieurs danses. L’effectif réunit plus de 80 musiciens et une soprano solo. J’ai ensuite adressé cette suite à Sebastião Salgado qui, après l’avoir écoutée, a immédiatement eu l’idée d’associer une séquence photo à chaque mouvement musical. Dans le premier mouvement, intitulé La forêt, il a choisi des photographies de paysages aériens ; pour La danse guerrière, des photographies d’hommes ou de parties de chasse… Chaque image est liée à une phrase musicale, on a vraiment l’impression que les photos chantent avec la musique. Salgado pense que la musique de Villa-Lobos a été composée pour ses images. Pour ma part, je suis d’avis que les images ont été prises pour illustrer cette musique…
Comment décririez-vous la musique de Villa-Lobos, quelles sont ses sources, ses influences ?
Heitor Villa-Lobos est considéré comme le père de la musique classique brésilienne. Le Brésil étant un pays assez jeune, la plupart des œuvres écrites avant lui étaient composées à l’« européenne ». Sa musique porte la marque de plusieurs influences et puise son origine au cœur du Brésil. À la manière de Béla Bartók, Villa-Lobos a mené tout au long de sa vie un véritable travail d'ethnomusicologie. Il a voyagé à travers le Brésil, allant jusqu’à Manaus, à la lisière de la forêt amazonienne, pour étudier et enregistrer les chants folkloriques et indigènes. Lors de son passage à Paris, il a été inspiré par la texture musicale, les couleurs et les complexités rythmiques de la musique de Ravel. Sa musique possède un « flou » rythmique caractéristique des compositeurs français de cette époque. Enfin, dans la très célèbre Bachianas Brasileiras n° 5, on retrouve le style musical de Bach, subtilement mêlé à la musique populaire brésilienne. C’est le signe de son très fort attachement à la musique du grand génie baroque.
Que décrit la musique de A Floresta do Amazonas ?
Villa-Lobos avait composé A Floresta do Amazonas pour le film Green Mansions (1959) du réalisateur Mel Ferrer dans lequel apparaissait Audrey Hepburn. Cependant, le compositeur, qui était alors dans la fleur de l’âge, était moins intéressé par le film lui-même que par le fait de composer une musique de concert au sujet de la forêt amazonienne. La musique ne décrit pas une histoire particulière. Chaque titre, grâce aux sons, nous fait voyager au cœur de différents paysages de l’Amazonie. Certains mouvements chantés sont de la pure poésie : « Mélodie sentimentale » est un chant nostalgique évoquant une personne qui est partie. D’autres, comme « L’oiseau de la forêt », utilisent la voix comme instrument d’orchestre à travers des vocalises.
Quelle est l’originalité de cette partition ?
Villa-Lobos utilise un orchestre très important, avec piano et célesta, et même une guitare classique pour accompagner la chanteuse. Sa musique évoque des couleurs très fortes, avec beaucoup de percussions. Son originalité réside à la fois dans l’orchestration et le lyrisme. A Floresta do Amazonas est une musique d’une beauté incroyable, elle n’est malheureusement pas très connue car le matériel était, il y a quelques années encore, à l’état de manuscrit, ce qui rendait son interprétation compliquée.
Au cours de ce concert sera également joué Aguas da Amazonia de Philip Glass...
Nous avons trouvé intéressant d’associer ces deux compositeurs puisqu’ils portent un regard différent sur l’Amazonie. Le contraste est vraiment intéressant. Dans Aguas da Amazonia de Glass, on a une impression de flux, celle d’être dans une petite embarcation qui se fraie un chemin tortueux sur une rivière, qui tantôt accélère, tantôt ralentit. La musique de Villa-Lobos, quant à elle, est plus dense. Elle présente la complexité et les richesses de la forêt tropicale, elle laisse poindre un peu partout une myriade de petits bruits. Ce qui différencie l’approche de ces deux compositeurs réside dans le fait que Philip Glass porte un regard extérieur sur la forêt, tandis que Villa-Lobos nous livre une vision de l’intérieur.
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce concert ?
Heitor Villa-Lobos a dit que sa musique devait être considérée comme une lettre pour la postérité. Ceci revêt une grande actualité au vu de la situation en Amazonie. Ce projet musical nous invite à découvrir plusieurs richesses : la beauté des photographies de Salgado, la grandeur de l’œuvre de Villa-Lobos, mais surtout la richesse de la forêt amazonienne, ce trésor de l’humanité qui doit être protégé.
Propos recueillis par Emma Jomary.