Julien Gauthier embarque pour son premier périple à bord du Marion Dufresnes : une première étape marquée par la proximité avec les membres de l'équipage et un sentiment d'isolement croissant face à l'immensité de l'Océan.
LE MARION DUFRESNE : RÉUNION - ARCHIPEL DE CROZET
Les fameux quarantièmes rugissants portent bien leur nom... C'est au cours de la quatrième nuit à bord, en l'espace de seulement quelques heures, que la température a chuté brutalement, d'au moins une dizaine de degrés. Les vents et les courants sont passés d'une relative douceur à une violence extrême (même si beaucoup à bord disent que ce n'est rien !), et nous avons d'ailleurs aujourd'hui l'interdiction de sortir sur les ponts.
Par contre, si la météo n'est pas des plus agréables, de nombreux oiseaux de mer, pétrels et albatros ont fait leur apparition ! Depuis le départ de la Réunion, on ne voyait presque pas âme qui vive. Deux des « ornithos » à bord, Colin et Charles montent toutes les heures entre le lever et le coucher de soleil faire un comptage des oiseaux aperçus depuis la passerelle du bateau, et les chiffres ont bondi après cette nuit. En effet, malgré les latitudes pas si élevées, (nous sommes ici à peu près autant au sud que Paris est au nord) à cause des vents et des courants marins, nous sommes désormais dans ce qu'on appelle la zone subantarctique, ce qui explique à la fois le vent glacial et... la présence des oiseaux !
Les premiers jours de mer, heureusement, ont été plutôt calmes, ce qui a pu me permettre, à moi et aux autres qui comme moi n'apprécient guère le roulis, de s'amariner un peu. L'euphorie au moment du départ à vite remplacé l'anxiété des jours d'avant, et étant relativement peu nombreux à bord (une quarantaine, en comptant les quelques « touristes » qui font la rotation et descendront à chaque escale mais ne séjourneront pas dans les districts) tous les passagers ont fait rapidement connaissance.
On s'habitue finalement très vite à la vie sur un bateau comme celui-ci. Le quotidien est rythmé par les 3 repas, à heure fixe, où l'on mange bien mais... beaucoup ! Entre temps, des conférences données par les scientifiques sur leurs domaines de recherche, mais aussi des formations spécifiques, comme celles données par Pierre, le pilote de l'hélicoptère qui nous emmènera sur les îles, sur comment monter à bord, ou par les médecins Louis, Etienne et Alexandre, sur les premiers secours. En effet, lors des « manips » avec les scientifiques dans les districts, on pourra parfois se trouver à plus d'un jour de marche des bases : il faudra donc savoir, en cas de blessure, pouvoir connaître les bons gestes en attendant l'arrivée du médecin...
Les conversations avec les gens à bord sont extrêmement variées et passionnantes: scientifiques (géologues, glaciologues, ornithologues, etc.), personnel des TAAF, équipage... Certains ont déjà été plus d'une dizaine de fois dans les Terres Australes ou en Terre Adélie, pour d'autres comme moi c'est une première. Chacun parle de son sujet d'étude ou de sa spécialité avec beaucoup d'intérêt et de facilité. Mon projet a plutôt l'air d'intriguer au départ, car je n'ai pas le profil habituel de ceux qui voyagent sous ces latitudes, mais tout le monde a l'air très intéressé quand j'explique ce que je compte faire et tous comprennent l'intérêt de pouvoir s'isoler pendant quelques mois dans un lieu comme Kerguelen pour composer. Ceux qui connaissent, comprenant que je vais en particulier m'intéresser aux sons que j'y entendrai, me parlent souvent non pas tant des oiseaux mais surtout du vent qui y souffle en permanence...
Déjà, les sons qu'on entend sur le bateau sont inhabituels, pour quelqu'un qui n'est pas marin ! Je passe beaucoup de temps à déambuler avec mon enregistreur pour capturer ceux qui me paraissent les plus intéressants, à la fois pour moi et aussi pour mon journal sonore. Au bout de quelques heures, plus personne n'est vraiment surpris de me croiser un micro à la main !
Après quelques jours de mer, ne croisant jamais même un seul bateau, on finit par se sentir vraiment isolé du monde. On en vient presque à oublier qu'il existe autre chose et on comprend la fascination des marins pour la mer. Il y a bien une sorte d'accès internet à bord, par lequel on peut envoyer un email depuis une adresse spécifique, et sans pièce jointe, mais je ne souhaite pas me connecter. J'ai envie de profiter aussi pleinement de cet « isolement » numérique qui est si rare aujourd'hui !
Demain ce sera le débarquement et l'arrivée sur l'archipel de Crozet, la première escale du Marion Dufresne. La nuit promet d'être agitée : aujourd'hui au repas, des tissus anti-dérapants ont été placés sur les tables pour éviter que tout ne tombe, et les verres à pieds ont été remplacés par des verres plats, plus stables ! Ce sera agréable de descendre enfin à terre...
JOURNAL SONORE N°2 : LE MARION DUFRESNE
Les moteurs du Marion Dufresne émettent un son continu qu'on entend en permanence, où que l'on se trouve sur le bateau. Après les derniers sons portuaires, comme ceux des porte-conteneurs, on entend une fois en mer, en déambulant sur les divers ponts du navire le bruit du sillage, les mécaniciens qui travaillent, ou encore les consignes données au départ par Thierry Clot l'OPEA, le chef de l'opération portuaire. Le soir après les repas, les futurs hivernants, les quelques touristes et tous ceux qui travaillent à bord se retrouvent souvent au Forum pour boire un verre...