Julien Gauthier part pour une nouvelle expédition à destination de Port Jeanne d'Arc, une ancienne station baleinière aujourd'hui désaffectée. Dans un décor splendide composé d'immenses vestiges rouillés, il partage son temps entre capture de chats à vocation scientifique et randonnées qui se muent en véritables épreuves de force.
À peine deux jours après mon retour sur base, me voilà parti pour Port Jeanne d'Arc, l'ancienne station baleinière désaffectée depuis 1927, cette fois avec le « bibou » et le « pop-chat », les surnoms qui désignent ici le médecin assistant et celui chargé d'étudier la dynamique de population des chats, une des nombreuses « espèces introduites ».
Après une traversée de 2 heures en zodiac qui nous semble assez agitée (mais qui ne sera rien en comparaison avec notre retour!) le débarquement à « Péjida » est délicat. Contrairement à son nom, il n'y a plus de port, ni même d'arrimage à Port Jeanne d'Arc, et le zodiac est obligé de s'approcher précautionneusement entre les rochers, et ne peut rester plus de quelques secondes près du bord, au risque de s'y abimer. Le déchargement des vivres et de nous trois doit donc s'effectuer en plusieurs fois, et nous sommes obligés de jeter nos sacs à terre depuis le bateau!
Ce qui frappe à l'arrivée, c'est autant le site splendide que les immenses vestiges rouillés de l'ancienne station baleinière et les cabanes abandonnées. « Péjida » paraît être une ville fantôme : seules traces de vie, une douzaine de manchots papous et un couple de royaux qui paraissent perdus, et quelques goélands qui semblent avoir élu domicile dans certains des fûts ! Ce ne sera donc pas cette fois la faune qui m'intéressera au niveau du son, mais plutôt les conséquences du vent, qui fait trembler et grincer ces immenses cuves abandonnées aux éléments...
La journée, nous posons des pièges pour la capture des chats, et tous les jours passons faire des relevés pour voir s'ils ont fonctionné. Les chats capturés sont relâchés après une prise de sang, des mesures et la pose d'un collier.
Il est grisant de passer la nouvelle année à 3 seulement, dans un lieu aussi isolé, avec une radio pour seule communication avec l'extérieur. Une fois par jour, à 17h30, pour toutes les équipes en sorties « hors-base » a lieu ce qu'on appelle ici la « vac », pour « vacation radio ». Il s'agit de prévenir la base que tout va bien, et éventuellement de communiquer si besoin avec les équipes de coordination de l'IPEV (l'Institut Polaire Paul-Emile Victor qui pilote les projets scientifiques) restées sur base, et de recevoir, ce qui est capital ici, les prévisions météo !
Certains après-midi, lorsque le temps le permet, après avoir relevé les pièges, nous partons en randonnée aux alentours. Les conditions sont telles que ce qui n'est qu'une simple colline de quelques centaines de mètres semble être un sommet de plusieurs milliers. Sur le bien nommé « plateau du vent », entre le « Dôme rouge » et le « mont des lichens » (à peine 603 mètres d'altitude!) nous luttons contre des rafales d'une telle violence qu'elles nous déséquilibrent et nous déportent souvent de plusieurs mètres, malgré nos bâtons de marche solidement arrimés au sol. La simple randonnée ici devient presque un sport de combat ! Le lendemain, nous aurons même droit à une tempête de neige qui, bien que de courte durée, nous surprend car nous sommes en plein été !
On comprend alors que le sommet de l'île, qui fait pourtant moins de 2000 mètres n'ait été gravi que 3 fois, et seulement par des alpinistes chevronnés...
Une semaine après notre arrivée, deux autres « manipeurs » viennent nous relayer, alors que le pop-chat doit passer une semaine de plus sur place.
L'accostage du zodiac pour la relève se fait dans des conditions inimaginables, vu les conditions météo de la matinée, avec une mer très agitée. L'un des nouveau arrivants tombe même à l'eau en tentant de descendre à terre, et est obligé de remonter tant bien que mal sur le zodiac, avant une nouvelle tentative, et lorsque vient mon tour, je crains le pire pour mon matériel son ! Finalement, tout se passe bien, en grande partie grâce à Romain, le pilote du zodiac, qui est un marin aguerri, ayant déjà, entre autres, traversé l'Atlantique à la rame en solitaire, et qui est déjà venu ici en voilier ! Nous arrivons épuisés et trempés à la base, et déjà on me propose de repartir dès le lendemain vers un autre site, cette fois pour travailler sur les éléphants de mer... !
JOURNAL SONORE N°6 : PORT JEANNE D'ARC
Le 31 décembre à minuit, les quelques équipes qui passent le nouvel an hors de la base de Port-aux-Français se souhaitent la bonne année par radio ! Le lendemain, comme presque tous les jours, le vent fait trembler les vieux fûts abandonnés. Le cri des goélands semble même parfois se confondre avec les grincements du métal rouillé...