Frappé par la splendeur des paysages dès son arrivée à Port-aux-Français, Julien Gauthier réalise qu'il doit intégrer le cercle fermé des Kergueleniens pour les quatre mois à venir. Son aventure australe débute à Ratmanoff, sur une plage visiblement très prisée des manchots royaux.
L'arrivée à Port-aux-Français a été plutôt déstabilisante au départ. Tout en étant subjugué par la vue sublime depuis la base, un sentiment étrange s'empare de moi : cette fois c'est sûr, je vais vraiment séjourner ici 4 mois, et je me sens tout à coup un peu dépassé par ce qui arrive. La vie ici semble mystérieuse, et je sens qu'il ne va pas être si facile de m'intégrer à cette petite communauté qui semble avoir ses codes, sa culture, ses expressions et ses petits secrets qu'il me faudra percer et comprendre progressivement, comme pour tous ceux qui arrivent pour la première fois. Heureusement, dès le départ du bateau le lendemain, un pot de bienvenue est organisé pour tous les nouveaux arrivants, et déjà je sens que je ne suis plus perçu comme quelqu'un « de passage » mais comme un futur kerguelenien. Les « anciens » à qui je parle semblent intrigués par mon projet, qui ne ressemble à rien de ce qui est habituel ici ! Mais je n'ai pas le temps de vraiment prendre mes repères car dès le lendemain, je pars déjà sur le terrain, à 7 heures environ de marche de Port-aux-Français, en direction de Ratmanoff. Située à l'extrémité est de l'île, c'est l'une des plus importantes colonies de manchots royaux au monde, qui compterait environ 400 000 individus !
Une gigantesque plage bondée. Plusieurs kilomètres de long, des dizaines de mètres de large, du sable noir, un vent glacial soufflant entre 30 et 50 nœuds presque en permanence et une foule immense : il nous reste pourtant encore une petite heure de marche sur la plage pour arriver à la colonie elle-même (70 000 couples environ) et à ce qui sera notre cabane de vie, mais déjà on voit des milliers de manchots qui partent ou reviennent de la mer, ou qui se dirigent dans la même direction que nous !
A peine 3 jours après mon arrivée à Kerguelen, je suis donc déjà sur le terrain, en tant que « manipeur », c'est-à-dire comme aide au travail des scientifiques sur le terrain. Ici, il s'agit de capturer des manchots pour du marquage. Le travail est épuisant, car il s'agit avant tout de ne pas blesser l'animal, mais aussi de le transporter jusqu'à la cabane de « manip » puis de le ramener sur le lieu de la capture. Les manchots peuvent peser jusqu'à une quinzaine de kilos, et bien entendu, se défendent au moment de la capture en donnant des coups de becs ou, plus douloureux encore, des coup d'ailerons !
Mon temps libre est mis à profit pour l'enregistrement sonore. Les manchots sont plutôt craintifs, mais en se déplaçant accroupi, quelques mètres à peine par minute, ils ne sont plus effrayés et d'ailleurs, les plus curieux d'entre eux (souvent les poussins) s'approchent, intrigués !
Malgré mon équipement coupe-vent, les rafales sont souvent bien trop puissantes et font saturer la membrane du micro. Heureusement, un soir, le vent a brusquement faibli, et j'ai pu réaliser plusieurs bons enregistrements. De retour sur base, j'aurai beaucoup de matériau pour pouvoir écouter, analyser, comprendre attentivement les sons et éventuellement m'en servir pour mon travail de composition.
Le 24 au soir, 4 personnes en plus sont venus nous rejoindre depuis « PAF » (Port-aux-Français) pour passer la nuit de Noël en cabane. Le repas est simple mais délicieux : une très belle truite fraichement pêchée dans une rivière à proximité nous permet de faire un délicieux carpaccio en entrée. Je repartirai avec eux le surlendemain pour rentrer à Port-aux-Français.
JOURNAL SONORE N°5 : RATMANOFF
Un beau paysage sonore : 1 minute à proximité de la colonie de manchots, un soir au coucher du soleil, réalisé sans montage. Les poussins qui ont presque 1 an sont ceux qui émettent un sifflement aigu.