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Épisode 7 - La vie sur base

Publié le 31 janvier 2016 — par Julien Gauthier

— Vue de Port aux Français - © J.Gauthier

De retour à Port-Aux-Français, Julien Gauthier trouve enfin le temps de s'installer et de s'intégrer à ce microcosme si particulier. Celui qu'on surnomme désormais "pop-notes" poursuit son travail de capture de sons au contact de divers professionnels et autres techniciens de la base.

Après avoir enchaîné plusieurs sorties d'affilée sur le terrain, rester plusieurs jours à Port-aux-Français (« Paf » pour les intimes) est une respiration bienvenue : il était temps pour moi de prendre le temps de m'installer réellement, de m'aménager un petit espace de travail dans ma chambre et surtout d'apprendre à me sentir à l'aise dans ce lieu dont l'aspect intrigant m'avait un peu déstabilisé à mon arrivée.

 

Port-aux-Français
— Port-aux-Français - © J.Gauthier

Il n'y a que des résidents temporaires à Kerguelen, présents pour réaliser des missions diverses qui peuvent durer de quelques mois à un peu plus d'un an. Il y a pourtant, au fil des années, une vraie « culture » locale qui s'est forgée, sans doute en grande partie grâce à certains qui reviennent sur l'île d'année en année, en particulier ceux qu'on appelle ici les « réus », qui sont souvent embauchés d'une saison sur l'autre, et qui connaissent bien, puisqu'ils l'ont faite, l'histoire récente de l'île.  Certains scientifiques sont aussi des habitués des lieux, nombre de programmes  nécessitant un suivi de plusieurs années.

Comme toute communauté, a fortiori si elle est isolée, celle-ci possède ses habitudes, ses rituels, son humour voire même son propre langage qui se manifeste en particulier par les surnoms de beaucoup de résidents, qui correspondent la plupart du temps à leur fonction sur la base. Le « pâteux » pour le boulanger, le « bout de bois » pour le menuisier,  le « Bcr » (le responsable du bureau des communications radio), « l' appro », le « pin-pon », le « chaud-froid » (le plombier), et bien sûr le « disker » pour le chef de district de Kerguelen.

En réalité, on existe ici plus par sa fonction sur la base que pour qui on est, et les surnoms se transmettent d'une année sur l'autre, malgré les personnes qui se relaient. Nous sommes plusieurs Julien sur la base, et pour moi plusieurs surnoms ont aussi circulé assez vite : d'abord « l'artiste », puis le « composiKer » mais celui qui semble s'imposer aujourd'hui est celui de « pop-notes », en référence aux surnoms de « pop-chat » ou de « pop-éléph » dont la fonction consiste, entre autres, à capturer les chats ou les éléphants de mer. Je serais donc ici celui qui capture... les notes !

JOURNAL SONORE N°7 : PAF

Résider dans un lieu comme celui-ci, dans lequel on est loin de son quotidien habituel, permet justement de s'intéresser au fonctionnement (et aux sons) de métiers qu'on a moins l'habitude de côtoyer. J'ai pu passer du temps à suivre par exemple Thierry le « chaud-froid » dans sa tournée quotidienne de vérification du système de purification de l'eau, Didier le technicien du centre national d'études spatiales (Cnes) qui effectue par exemple le suivi de satellites, ou encore Aurore lors du lâcher quotidien du ballon météo et la vérification du bon fonctionnement de la sonde qui y est attachée. Tous ces sons, en commençant par celui du vent, très souvent présent ici, se mélangent dans l'extrait sonore suivant.

Il m'aura fallu un mois, et surtout ce temps passé « sur base » pour me sentir à ma place et oublier l'anxiété des premiers jours. Les 18 et 19 janvier ont vu d'ailleurs une nouvelle opération portuaire (OP), c'est à dire un passage du Marion Dufresne, avec de nombreux départs et quelques nouveaux arrivants. Ce n'est probablement pas un hasard si c'est à ce moment là qu'a eu lieu pour moi le déclic. Pendant l'OP, les « nouveaux » ou ceux de passage, me posent souvent les mêmes questions que je posais aux « anciens » à mon arrivée ! Connaissant alors les réponses et sachant les orienter, c'est à ce moment là que je me suis dit que j'étais, moi aussi, en train de devenir « kerguelenien » !

A la fin de l'OP, nous ne sommes plus qu'une soixantaine à Kerguelen, et nous allons passer 3 mois ensemble sans contact avec l'extérieur, et pour ma part je m'y sens cette fois réellement bien ! La seule chose qui commence à me préoccuper sérieusement, c'est le temps qui passe si vite ici... et surtout la prochaine date dont tout le monde parle déjà : dans 3 mois, celle de la prochaine OP : le prochain passage du Marion Dufresne, sur lequel je serai obligé d'embarquer. Je n'ai déjà plus envie de partir...

Eléphant de mer à Port-aux-Français
— Eléphant de mer à Port-aux-Français - © J.Gauthier