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Une petite fabrique à l’écoute des enfants

Publié le 27 juin 2019 — par Carine Claude

© Nora Houquenade

Du 23 au 28 avril dernier, l’exposition éphémère « La Petite Fabrique » a permis à 800 enfants de venir tester les prototypes de certaines installations pédagogiques et sonores qui équiperont La Petite Philharmonie de Paris, un nouvel espace dédié aux plus petits qui ouvrira ses portes en 2021.

— La Petite Philharmonie de Paris : la "Petite Fabrique"

La démarche est inédite. Pour imaginer les futures installations ludiques et sonores de La Petite Philharmonie de Paris - un nouvel espace permanent dédié à l’expérimentation musicale pour les 4-10 ans et dont l’ouverture est prévue début 2021 -, l’établissement s’est engagé sur la voie de l’innovation ouverte. Plutôt que d’internaliser intégralement la conception de certains des jeux pédagogiques qui animeront La Petite Philharmonie, l’institution a fait appel à la communauté des « makers », ces créatifs 2.0 adeptes du Do it Yourself (« Faites-le vous-même ») qui réfléchissent aux nouveaux usages du design par le biais de la fabrication numérique. Afin de concevoir des prototypes d’installations fonctionnels, les équipes de la Philharmonie ont œuvré en mode collaboratif pendant plus de huit mois avec une vingtaine de makers venus de la France entière. Une première pour une institution de cette envergure.

— La future Petite Philharmonie de Paris (rectangle rouge en bas à gauche) s’étendra sur plus de 1.000 mètres carrés au sein du bâtiment conçu par Jean Nouvel.

L’idée ? Gagner en agilité de conception et prévoir la durabilité des futures installations, en s’assurant en amont qu’elles seront bien en adéquation avec les besoins et les attentes des enfants. Et qu’elles ne seront pas obsolescentes avant l’heure. Un écueil souvent rencontré pour des investissements de ce type, coûteux et lourds à mettre en œuvre.

Autre innovation mise en œuvre par la Philharmonie : afin de tester les tout premiers prototypes, l’établissement a ouvert ses portes du 23 au 28 avril à 800 enfants pour qu’ils viennent essayer ces nouvelles propositions interactives et sonores. Appelée « La Petite Fabrique », cette exposition éphémère installée dans le Grand Salon de la Philharmonie rassemblait une douzaine de prototypes ludiques et low-tech faits de carton et d’électronique open source. Marelle sonore, arbre à thérémines, jeu de pitch pong déclenché par la voix… Ici, pas besoin de savoir jouer d’un instrument pour s’amuser en toute liberté.

© Nora Houquenade

« Ce type de lieu nous aurait fait rêver quand nous étions petits », confie Antoine Capet, l’un des coordinateurs de l’événement. Grâce à « La Petite Fabrique », le projet de La Petite Philharmonie intégrera d’entrée de jeu processus créatif et expérience utilisateur de son jeune public. Libre, son parcours favorisera la manipulation d’objets sonores, souvent drôles et poétiques, que les enfants devront s’approprier en toute autonomie pour découvrir la musique en s’amusant. Loin des écrans. « Le processus de conception collaborative de la Petite Fabrique pose aussi la question de comment on vulgarise, comment on partage, comment on transmet », explique Antoine Capet, musicothérapeute et éducateur spécialisé, cofondateur du collectif Brut Pop.

Avec son comparse David Lemoine, chanteur du groupe Cheveu, il croise depuis une dizaine d’années pratiques artistiques et culture du détournement pour développer des projets d’ergothérapie musicale adaptés au jeune public, mais aussi aux personnes en situation de handicap. Ensemble, ils ont créé le Sonic Lab à la Station Gare des Mines, un lieu alternatif installé dans une ancienne gare désaffectée près de la porte d’Aubervilliers. C’est par le biais de ce lab dédié aux expériences sonores ludiques que la Philharmonie les a contactés. « Notre rôle a été de fédérer une communauté de makers avec lesquels nous avions déjà travaillé individuellement, mais c’est la première fois que nous collaborions en réseau sur un projet de cette ampleur », poursuit Antoine Capet.

Une collaboration étroite et fructueuse

Avec les scénographes de l’Atelier Craft, une quinzaine de makers venus de la France entière – le fablab LFO/Réso-nance numérique de Marseille ou encore le hackerspace 3615 Señor de Besançon - ont planché pendant plusieurs mois sur la conception de prototypes élaborés à partir de scénarios d’usage proposés par les équipes de la Philharmonie. « Ce n’était pas une carte blanche », précise Antoine Capet. Découvrir le rythme, observer le phénomène des vibrations sonores ou encore favoriser l’attention et l’écoute figurent parmi objectifs ludo-pédagogiques de cette première phase d’évaluation de faisabilité technique.

Surtout, il s’agit d’éviter la production finale d’installations trop complexes ou inadaptées au jeune public. Après plusieurs semaines de discussion et deux jours de brainstorming intensifs au Sonic Lab, une quinzaine d’idées ont finalement été retenues. Pour chacun des prototypes, tout le monde a mis la main à la pâte. « Une installation n’est jamais le projet d’une seule personne. Notre mode de travail favorise l’horizontalité. L’un va être spécialiste en code informatique, l’autre en pédagogie… C’est une sorte de puzzle de compétences. »

© Nora Houquenade

Cette transversalité, le maker Alexandre Sacha Sakharov en parle lorsqu’il évoque le prototype de marelle sonore qu'il a mis au point avec Julien Bloit, où les enfants doivent synchroniser leurs mouvements pour interpréter une composition : « En amont de l’exposition, le plus gros travail a été de débattre et de poser des alternatives en partant de nos expériences individuelles. Moi, c’est plutôt le jeune public. Pour Julien, qui est fort en visualisation, ce sont plutôt les interactions. On utilise les techniques de maker, comme l’électronique open source et le carton, qui a également un côté recyclage intéressant car on comprend tout de suite que l’on est en face d’un prototype, pas d’un projet achevé. » L’esprit débrouille des makers, c’est aussi celle de la réhichiccupération, à l’instar des grands cartons tubulaires utilisés pour protéger les piles de ponts et ici transformés en cabines pour l’installation Alloooooo ? où l’enfant transforme sa voix avec des effets de réverbération, de delay ou de vocoder.

© Nora Houquenade

En plus des contraintes liées à une fabrication éphémère, les makers ont dû relever un challenge d’importance : créer des installations que les enfants puissent manipuler en autonomie et qui aient du sens pour tous les âges. « Imaginer un espace sans médiation est quelque chose d’inédit pour nous, explique Antoine Capet. Les enfants doivent s’emparer des installations, avec ou sans l’intervention des adultes. Cet aspect autonome ajoute une couche de complexité, car si un enfant n’accroche pas le jeu au cours des 15 premières secondes, il le délaisse et c’est terminé. » Changer un bouton ou simplement repenser un pictogramme peut changer la donne. La semaine de « Petite Fabrique » leur aura permis de faire ces correctifs in situ en observant les enfants.

Autre challenge : faire cohabiter une douzaine d’installations sonores dans un même espace. « Les enfants ne vont pas jouer moins forts parce que ce sont des prototypes, ça fait partie du processus ludique... ». Pour encourager les enfants au jeu collectif, les makers de la Petite Fabrique ont également pensé un espace scénique ouvert façon club de rock miniature.

© Nora Houquenade

Mae, 9 ans : « On a aimé en particulier le Club de rock parce qu’on a l’impression d’être vraiment sur scène, on a la sensation que tout le monde écoute donc ça fait du bien, on a l’impression d’être quelqu’un. »

À l’aide d’instruments simplissimes fabriqués en fablab – guitare à une corde, percussions en raquettes de ping pong - les enfants s’accompagnent et suivent des instructions de jeu ou des partitions colorées sur les écrans des pupitres. Une manière de s’initier au jeu en groupe et de vaincre sa timidité. « La Petite Fabrique était juste une première phase de défrichage sur ce qu’est un objet interactif sonore pour le jeune public », conclut Antoine Capet à l’issue de l’exposition. À terme, La Petite Philharmonie intégrera un espace dédié à l’expérimentation pour y présenter de nouveaux prototypes ou des installations créées en résidence. Son nom ? La Petite Fabrique, tout simplement.