Orchestre symphonique Simón Bolívar / Gustavo Dudamel
Programme
Commande : du Los Angeles Philharmonic Orchestra.
Composition : 2022.
Création : le 12 mai 2022, au Walt Disney Concert Hall, Los Angeles, par le Los Angeles Philharmonic Orchestra sous la direction de Gustavo Dudamel.
Durée : environ 10 minutes.
La boue s’infiltre partout. Les pierres, grandes et petites, font résonner chaque os de notre corps. Chaque courbe de la route informe apporte des défis inattendus, aussi attirants que menaçants. Succomberons-nous à ce terrain traître, en surchauffe et sans essence, ou parviendrons-nous à nous extraire d’un limon épais et collant avec un sens renouvelé de notre propre identité ? À un moment donné, l’attention que nous mettons à esquiver les profonds nids-de-poule qui parsèment l’étroit sentier est interrompue par une vision idyllique entrevue entre des arbustes impénétrables. S’agirait-il de notre destination ? En cet instant, nous sommes simultanément en mode attentif et heureux, faisant patiner un embrayage rouillé tout en réfléchissant à notre place dans l’univers.
Que ce soit à pied, à bicyclette ou à bord d’un 4x4 rustique todo terreno [tout-terrain],
j’ai passé une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence hors des sentiers battus, dans les paysages de campagne vastes et sauvages de mon Venezuela natal.
Une fois adulte, j’ai appris à apprécier ces expériences précoces qui ont fait de moi un
connaisseur de la nature et m’ont procuré une sensation enviable de liberté. J’ai intitulé
la commande du Los Angeles Philharmonic Todo Terreno [Tout-terrain] car je crois que le phrasé rythmique irrégulier de la musique et ses changements harmoniques imprévisibles captent l’émotion que l’on ressent à conduire sur des terrains inhospitaliers aux véhicules. En approfondissant l’expérience, je découvre qu’il y a là une métaphore convaincante de la vie. Elle nous berne, nous faisant croire que les outils peuvent nous immuniser contre la fragilité de l’humanité, mais en même temps, nous fait prendre conscience du fait que notre survie dépend de notre capacité à respecter notre environnement et à nous y adapter.
Ricardo Lorenz
Commande : du Los Angeles Philharmonic, avec le généreux soutien de la Esa-Pekka Salonen Commissions Fund.
Création : le 28 juillet 2022, au Hollywood Bowl, Los Angeles, par le Los Angeles Philharmonic et le compositeur au cuatro sous la direction de Gustavo Dudamel.
Durée : environ 20 minutes.
J’ai toujours été fasciné par les sources folkloriques. Dans toutes les cultures et à travers les siècles, les compositeurs de toutes époques ont été influencés par leur folklore. Des suites baroques aux œuvres de compositeurs romantiques et modernes, les sonorités des musiques traditionnelles ont toujours été une grande source d’inspiration. Cette Odisea pour cuatro – la petite guitare à quatre cordes traditionnelle du Venezuela – et orchestre fait le lien direct avec mes racines et les sonorités vénézuéliennes.
C’est un concerto en un seul mouvement qui dépeint un voyage imaginaire entre les traditions des côtes orientales du Venezuela et celles du centre-ouest. J’ai imaginé notre soliste Jorge Glem quittant Cumaná, sa ville natale, pour rencontrer notre chef d’orchestre Gustavo Dudamel dans sa ville natale à lui, Barquisimeto. Tout au long du concerto, on entend au loin des coups de tambour qui se rapprochent à mesure de l’avancée de l’odyssée.
Bien sûr, comme tout voyage, celui-ci a besoin d’étapes. Au Venezuela, nous avons les fameuses encrucijadas [carrefours], où les bruits de la rue, les vendeurs, les arepas, ces petits pains au maïs fourrés dont les Vénézuéliens sont friands, et peut-être un peu de chaos et d’incertitude, font également partie de l’aventure. Au cours de ce voyage, nous ressentons la nostalgie du départ, la découverte de la nouveauté, l’émotion de l’arrivée et la chaleur de l’accueil, et découvrons de nouvelles traditions qui se mêlent aux nôtres. Les sonorités de la malagueña, de la jota et du polo margariteño de la côte orientale, les racines africaines des rives du Barlovento, la rareté et l’originalité du merengue de Caracas (inspiré du Boléro de Ravel), tous ces genres de musique voyagent pour se fondre avec la richesse des festivités du Golpe Larense.
Dans la culture latino-américaine, il est courant qu’à peu de distance d’écart on trouve des traditions très différentes. Malgré cela, le cuatro est l’instrument de musique national du Venezuela, présent dans toutes les régions du pays, et c’est en composant ce concerto que j’en ai découvert la raison. Notre cuatro se retrouve d’un océan à l’autre, d’une tradition à l’autre. Il change d’accent, se mélange et accompagne chaque chanson. Il nous représente avec fierté sur tout le territoire.
Enfin, je tiens à souligner qu’une fois son écriture achevée, j’ai pensé dédier ce concerto à ma maison. Au Venezuela, nous donnons des noms à nos maisons. La mienne s’appelle Pepelito, le surnom de ma mère quand elle était petite. À ma maison, à l’endroit qui m’a vu grandir et à ma chère maman Pepelito… je dédie cette Odisea.
Gonzalo Grau
Composition : juillet-octobre 1928.
Création : 22 novembre 1928, à l’Opéra Garnier, à Paris, par l’Orchestre de l’Opéra sous la direction de Walther Straram.
Effectif : piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois (et hautbois d’amour), cor anglais, petite clarinette en mi bémol, 2 clarinettes en si bémol, clarinette basse en si bémol, 2 bassons, contrebasson – 4 cors en fa, petite trompette en ré, 3 trompettes en ut, 3 trombones, tuba, 3 saxophones – 3 timbales, 2 tambours, cymbales, tam-tam, célesta – harpe – cordes.
Édition : 1929, Éditions Durand, Paris.
Durée : environ 20 minutes.
Que dire de ce Boléro que tout le monde connaît, à tel point qu’il fait partie des œuvres classiques les plus interprétées au monde ? Que Ravel, approché par Ida Rubinstein qui voulait qu’il écrive une musique de ballet pour elle, pensa d’abord à orchestrer l’Iberia d’Albéniz, avant d’y renoncer faute d’avoir obtenu les droits, pour finalement écrire cet ovni ? Que pour son créateur, cette pièce était « vide de musique » : « pas de contrastes et pratiquement pas d’invention à l’exception du plan et du mode d’exécution », des « thèmes […] dans l’ensemble impersonnels – des mélodies populaires de type arabo- espagnol habituel » ? Qu’en effet toute l’œuvre tient – comme tout le monde le sait – sur l’immense crescendo orchestral qu’elle propose, répétant à l’envi ses deux thèmes de 16 mesures chacun sur l’ostinato du tambour (souvent remplacé par une caisse claire) ?
Que si l’orchestre est particulièrement étendu et riche de timbres (le cor anglais, le
saxophone soprano, le célesta…), l’orchestration elle-même est plutôt « simple et directe tout du long, sans la moindre tentative de virtuosité » (Ravel toujours) ? Que l’on reste pendant près de quinze minutes sur le même balancement de do majeur, avant un détour in extremis vers un mi éclatant, bien vite corrigé par un dernier do ? Que si l’écriture est inouïe, le cataclysme, ce « triomphe généralisé des forces du mal » (Marcel Marnat), est lui hérité d’un morceau comme La Valse, pessimiste, violent ? On pourrait en dire bien d’autres choses encore ; mais c’est à chacun de décider de dépasser le cliché pour tenter de comprendre la force de cette musique.
Angèle Leroy
Les jeunes musiciens du programme social d’éducation musicale vénézuélien El Sistema et de sa déclinaison française Démos s’embrasent au contact de leurs aînés et sous la baguette de Gustavo Dudamel.
Gustavo Dudamel est lui-même formé à l’école d’El Sistema avant un début de carrière fulgurant. Il connaît bien l’Orchestre symphonique Simón Bolívar, qu’il dirige dès 18 ans. C’est lui encore qui crée Todo Terreno en 2022 avec le Los Angeles Philharmonic dont il est directeur musical.
Le « tout terrain » de Ricardo Lorenz reflète les tempéraments familiers du hors-piste du chef et des solistes. Geste libre et virtuosité à toute épreuve, le mandoliniste star joue pour l’occasion du cuatro, petite guitare très rythmique à quatre cordes du folklore vénézuélien, plus rare sur la scène classique.
Cette grande traversée du Venezuela n’échappe pas à ses racines hispaniques et africaines… dans lesquelles on reconnaîtra sans peine Ravel et son Boléro.