Je suis née en France, dans une famille de culture arménienne. Ma mère est née au Liban, mon père en France. Chez moi, c'est un petit musée arménien, avec de très beaux tapis, de très beaux tableaux et évidemment, beaucoup de musique arménienne. J'ai compris un peu plus tard qu'évidemment, la musique est un moyen de préserver un patrimoine immatériel qui a été souvent mis en péril jusqu'à aujourd'hui dans la culture arménienne. Je me considère vraiment française, mais ces origines-là m'ont vraiment nourrie et m'accompagnent toujours. C'est très intéressant d'avoir une double culture, c'est aussi une des richesses que la France offre, à savoir pouvoir avoir une culture familiale tout en étant français. J'essaye aussi toujours de partager avec le public, surtout dans les concerts de musique classique, vu que je suis musicienne classique, j'aborde des répertoires classiques. Mais toujours en rajoutant une petite épice, une petite touche arménienne. Ça me fait plaisir et puis j'ai l'impression que le public est très réceptif et touché par cette musique qui est évidemment pleine de souvenirs, de mélancolie et aussi d'espoir et d'amour. Dans la culture arménienne, la musique est un prolongement du langage. C'est une langue très riche, qui a 38 lettres, on est dans une langue très colorée, et la musique fait vraiment encore partie du quotidien. Les jeunes chantent quotidiennement, quand ils se rassemblent, ils chantent. Ça fait partie des choses que l'Occident a peut-être malheureusement perdues. On chante pour une bonne nouvelle, ou pour une mauvaise nouvelle, en Arménie, c'est encore très présent. Quand on se rassemble entre jeunes, on chante des chants populaires. La grande diaspora arménienne a cette richesse que partout dans le monde, où que l'on aille, tous les Arméniens de la diaspora connaissent les mêmes chants. C'est une manière de se rassembler, au-delà du langage. Je pense que c'est une grande chance pour le public parisien ou le public français de pouvoir avoir un week-end avec beaucoup de différents aspects de la musique arménienne. La musique est une tradition très ancienne dans la culture arménienne. Les plus anciens textes, les plus anciennes partitions écrites, datent à peu près du Ve siècle. Évidemment, j'ai été très émue quand j'ai entendu parler de ce projet. Il ne faut pas oublier que la France et l'Arménie ont des liens ancestraux. Il y a eu, au XIIe siècle, dans ce grand siècle, des rois et des reines qui se sont mariés entre royaumes. Le dernier roi d'Arménie est enterré à Saint-Denis. La Philharmonie de Paris, c'est le haut lieu de la musique en France. Je pense que ça va être une grande fête de la musique, autour de différentes œuvres. Et il y aura aussi un grand prisme temporel, au niveau des œuvres qui vont être jouées. Les œuvres les plus anciennes seront du Ve-VIe siècle, et les plus récentes n'auront que quelques années.
Charles Aznavour est un monument pour tous les Arméniens du monde. Son parcours personnel, son parcours familial, est à peu près le parcours de tous les Arméniens de France. Des parents qui sont arrivés suite au génocide arménien. Et puis, il a eu cette soif de musique. Je pense que cette complémentarité, à la fois de chanter, en tant que Français, la France et les chants d'amour en français, comme l'a fait Aznavour, mais en n'oubliant pas et en ayant été vraiment aux premières loges, par exemple quand il y a eu le tremblement de terre en 1988, pour venir en aide, pour lancer des appels... Il avait vraiment des relations tellement importantes avec les politiques. Il a vraiment été une voix immensément importante pour pouvoir parler des combats de l'Arménie.
"Mayrig", ça veut dire "petite maman". C'est un projet que j'ai découvert avec un disque qui était sorti chez Alpha Classics. C'est la rencontre de trois musiciens. C'est un programme qui mélange plusieurs compositeurs et qui parle vraiment de ce rapport de tendresse. Il y a beaucoup de tendresse dans la musique arménienne. Et j'ai proposé de rajouter un compositeur qui n'est pas présent sur le disque. Il s'agit d'un compositeur qui s'appelle Ara Bartevian, un compositeur que mon père a bien connu. Il fait partie de ces Arméniens de Constantinople qui sont venus en France. C'était très intéressant parce que c'est un prisme nouveau, si vous voulez, entre la musique populaire et quelque part, socialement, ce qu'est devenu cette musique populaire arménienne à travers le parcours d'Ara Bartevian, qui est arrivé en France, et quel langage cela donne.
Le père Komitas, qui sera dans la programmation, est le père de la musique arménienne. Pourquoi ? Parce que dans l'Empire ottoman, avant le 24 avril, qui a été la rafle du génocide arménien, de tous les intellectuels dont il fait partie, il a récolté des mélodies populaires.
Garbis Aprikian est un immense compositeur qui a à la fois composé des œuvres majeures du répertoire arménien et qui s'est beaucoup inspiré de la musique de Komitas et notamment de la musique vocale. Garbis Aprikian a eu un des plus grands chœurs, le chœur Sipan-Komitas, qui a diffusé la musique de Komitas, mais aussi celle d'autres compositeurs, ainsi que ses compositions.
Le violoncelle est un instrument très mélodique, le plus proche de la voix humaine, dit-on. Ce n'est pas faux. Il y a aussi un instrument phare dans la culture arménienne : le duduk, en bois d'abricotier, qui se rapproche aussi le plus de la voix. Le violoncelle est le prolongement occidental de la voix et du duduk. Il y a une tessiture du duduk que j'aime bien essayer de chercher dans le violoncelle... Par exemple, avec des effets un peu ponticello qui peuvent peut-être faire référence au vent qui souffle, comme ceci. C'est toujours fascinant : quand on est musicien, on peut redonner vie à des époques, à des paysages, en étant sur la même scène. On peut faire voyager le public. Depuis quelques années, j'aime bien chanter avec le violoncelle. Je ne chante évidemment que de la mélodie populaire. J'utilise la voix comme une cinquième corde du violoncelle. Et la complémentarité, la profondeur, la tessiture qu'offre le violoncelle, se marient très bien avec la mélodie populaire. Je vous donne un exemple. Voilà, l'idée étant vraiment d'englober à la fois l'instrument occidental qu'est le violoncelle avec la mélodie populaire.
Ce "Concerto-Rhapsodie", c'est une grande pièce de bravoure. Khatchatourian utilise le violoncelle pas seulement comme instrument mélodique, mais également comme instrument percussif, dans ce concerto. C'est une période qui a permis d'offrir au violoncelle et au violoncelliste une dimension très orchestrale. Donc, tantôt le violoncelle dialogue avec le basson, tantôt il dialogue avec le violon, tantôt il est seul. Donc voilà, toute cette dimension-là d'orchestration que Khatchatourian, qui était lui-même violoncelliste, utilise, est toujours très intéressante.
Berceau des civilisations indo-européennes, l’Arménie est un pays à l’histoire aussi riche que troublée. La République d’Arménie d’aujourd’hui s’étend d’ailleurs sur un dixième seulement du territoire arménien historique, et la plupart des Arméniens vivent en dehors des frontières du pays actuel. La majeure partie de cette diaspora s’est constituée à la suite du génocide des Arméniens organisé par le mouvement nationaliste des Jeunes-Turcs durant la Première Guerre mondiale. Le lien à la culture arménienne a pris des couleurs d’autant plus essentielles pour ce peuple « hanté par […] la nostalgie irréductible à l’égard d’une patrie confisquée et interdite », écrit Claire Mouradian. Le week-end que consacre la Philharmonie à ce pays entre Europe et Asie est l’occasion de découvrir à la fois son patrimoine musical, mais aussi ses croisements avec d’autres cultures au fil des exils ainsi que ses expressions contemporaines.
Le répertoire traditionnel d’Arménie fait une grande place au duduk, un hautbois aux sonorités graves et douces souvent joué en duo, que donne à entendre l’Ensemble Vostan, mené par Haïg Sarikouyoumdjian. Tout comme le Naghash Ensemble qui lui fait suite le jeudi 26 septembre, Sarikouyoumdjian conjugue expression individuelle, liberté d’invention et respect de la tradition dans son interprétation du répertoire.
La tradition musicale arménienne a intéressé de près l’ecclésiastique, ethnomusicologue, compositeur, chanteur et pédagogue Komitas, qui a mené un important travail de collecte de musique populaire en Anatolie au tout début du XXe siècle. Deux concerts lui rendent hommage : la soirée de musique de chambre du vendredi 27 septembre intitulée «Mayrig» (maman en arménien) et le récital du pianiste Jean-Paul Gasparian le lendemain. À cette occasion, ses œuvres voisinent notamment avec celles du compositeur classique arménien le plus connu, Khatchatourian, auquel l’Orchestre symphonique d’État d’Arménie consacre tout son concert du dimanche après-midi.
Autre concert d’orchestre, celui que l’Orchestre Lamoureux consacre au plus français des Arméniens, Charles Aznavour, dont il fête le centenaire de la naissance avec de nombreux chanteurs invités. Enfin, le pianiste de jazz Tigran Hamasyan revient à la Philharmonie avec une nouvelle œuvre, A Bird of a Thousand Voices, inspirée par un conte initiatique arménien.