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Aznavour universel

Publié le 05 septembre 2024 — par Zoé Sfez

— Charles Aznavour en concert à l'Olympia de Paris le 20 janvier 1965 - © Jean-Pierre Leloir

Accompagnés par l’Orchestre Lamoureux, de nombreux chanteurs invités revisitent le monumental répertoire de Charles Aznavour, à l’occasion du centenaire de sa naissance.
— Charles Aznavour — « Hier Encore »

Hier encore, il y a cent ans, naissait Charles Aznavour. Depuis 2024, impossible d’imaginer la chanson française sans sa silhouette, son timbre somptueux, ses mots que l’on a tant chantés qu’ils habitent nos imaginaires. L’héritage est immense, mais la nostalgie, qu’il chantait comme aucun autre, n’est pas de mise. Car Charles est encore omniprésent ; c’est son vocabulaire qu’Aya Nakamura emprunte pour nous plaire à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, ce sont les cordes élégiaques d’« Hier encore » qui ouvrent Monaco du Portoricain Bad Bunny, titre le plus streamé de l’histoire. Si Aznavour est si universel, c’est qu’il a eu mille visages : celui de l’Arménien qui galère, au nez trop busqué – ce nez que Piaf lui suggère de corriger –, et celui de la star américaine triomphante aux États-Unis. Qui a chanté en mille langues : en français, cette langue qui fut sa patrie, en arménien bien sûr, idiome originel, mais aussi en anglais, italien, allemand, napolitain ou même kabyle. Gai et facétieux dans « Oublie Loulou », magistralement nostalgique dans « La Bohème » ou « Hier encore », éperdument amoureux dans « For me, formidable », Charles a su en quelque mille quatre cents chansons brosser un portrait de la nature humaine, qui transcende le temps et les frontières. Toujours en s’appuyant sur un grand orchestre à la française qui le sublimait, et dans un joyeux esprit de troupe. Cet hommage symphonique, choral et polyglotte, est donc parfaitement à son image. 

— Bad Bunny x Charles Aznavour — « Monaco x Hier Encore (Kentin FcN SHATTA REMIX) »

Métissage culturel

« Je me suis intéressé à tous les styles de musique, je suis fier d’avoir été en quelque sorte le premier à le faire en France », constatait Aznavour au crépuscule de sa vie. Il fut en effet un pionnier du métissage culturel, et son répertoire est une source à laquelle il est facile de s’abreuver pour Charlie Winston, Yael Naim et Keren Ann, qui le chanteront ce soir. Cette source, c’est pour Charles celle de l’enfance douce-amère, marquée autant par le bonheur que par l’exil. Né apatride dans une ville, Paris, où ses deux parents qui rêvaient déjà d’Amérique ne devaient faire que passer, Charles a poussé dans ce qu’il qualifiait de « ghetto heureux ». Un grand-père ancien cuisinier du tsar de toutes les Russie, une mère comédienne, un père baryton, qui ouvrent leur porte à tous. Ils portent en eux un peu de Géorgie, de Grèce, de Turquie, patrie d’exil déjà, et la grande blessure du génocide arménien. La dualité de Charles est là tout entière, son sens du drame, et du spectacle – les « Comédiens », ce sont bien sûr les Aznavourian – une urgence de vivre. Un sens de la famille, car c’est Aida, sa sœur, qui le pousse vers le cabaret, lui qui se destinait avant tout à la scène. C’est aujourd’hui sa belle-fille Kristina qui le chante sur scène.

— Charles Aznavour — « Emmenez-moi »

Compagnonnages fertiles

Un sens de la bande, car Aznavour a eu autant d’amis qu’il a eu d’emmerdes. Tout au long de sa vie, il tissera des compagnonnages fertiles : de Pierre Roche, son acolyte des débuts, qui compose avec lui des swings succulents, à Édith Piaf, qui le découvre, l’emmène en tournée et lui permet d’affûter sa plume quand les temps sont difficiles. C’est d’ailleurs la gouaille et la présence scénique de Piaf qu’il croit reconnaître, soixante ans plus tard, chez la chanteuse Zaz. À ses débuts, Charles est déjà un auteur de génie, mais un artiste que l’on ne veut pas voir : trop petit, trop arménien, on juge son timbre désagréable. Sa résilience, sa capacité d’incarnation sur scène, au contraire, le porteront. Tout comme ce qui fut sans doute la plus intense de ses amitiés créatrices : celle du chef d’orchestre Georges Garvenretz, lui aussi d’origine arménienne, qui à l’aube des années soixante va devenir son alter ego musical, et bientôt son beau-frère. Lui qui compose pour le cinéma reconnaît en Charles la même capacité à écrire une chanson comme un petit film d’à peine deux minutes. De la cavalcade de timbales et de cuivres dans « Désormais », à la ritournelle entêtante d’« Emmenez-moi », c’est le sens de l’orchestration de Garvenretz qui sublime le divin Charles, et que défend sur scène l’Orchestre Lamoureux, grand spécialiste de la musique symphonique française.

 

— Oxmo Puccino — « Ay ! Mourir pour toi »

Parrainage

« Tu as toujours su reconnaître la musique du futur, et c’est dans ton histoire que nous nous sommes reconnus », écrivait Oxmo Puccino à l’annonce de la disparition du grand Charles. Car le rappeur, qui se définit lui-même comme « poémien » n’a pas oublié qu’Aznavour fut l’un des premiers à reconnaître en lui un inlassable amoureux de la langue française, et donc un pair. À l’aube des années 2000, cette figure tutélaire de la grande variété ose un dialogue, un parrainage même, avec un genre, le rap, que la France regarde encore de haut, l’impose le dimanche sur le canapé de Michel Drucker, et ce faisant l’adoube. Le rap n’oubliera pas la bienveillance de ce père-pair qui connaît bien le poids des préjugés : rarement un chanteur de variété française aura été aussi repris, et samplé de son vivant. Oxmo Puccino lui rend hommage avec la chanson « Ay ! Mourir pour toi », qu'Aznavour avait composée pour la reine de la nostalgie portugaise, la papesse du fado Amália Rodrigues. Car comme le disait le grand Charles, les grandes chansons populaires n’ont pas de langue, et la nostalgie pas de patrie.

 

 

Zoé Sfez

 Journaliste et productrice à France Culture